Le SV4 STAMPE.
Je crois bien vous l’avoir déjà dit, mais je ne résiste pas au plaisir de vous le répéter ; c’est avec un Stampe que j’ai effectué les premières minutes de vol de ma carrière d’aviateur. Je n’avais jamais encore quitté notre bonne vieille terre, même pas comme passager, lorsque je me suis retrouvé, un beau matin de janvier 1951, harnaché et sanglé, prêt à décoller, à bord d’un de ces petits appareils. Ce fut, pour moi une véritable révélation.
Dans le Musée, vous trouverez notre Stampe dans le hall E ; les groupes passent souvent devant lui, sans s’arrêter, car il faut bien respecter l’horaire et le Point d’Interrogation qui se trouve à proximité bénéficie d’une priorité bien naturelle. Pour bien faire ressortir ses capacités de voltigeur, il est présenté la tête en bas.
Le Stampe est un petit biplan, à train classique, à cabine ouverte (c’est-à-dire que l’équipage est le nez au vent, protégé simplement par un pare-brise). Il est le fruit des études des ingénieurs belges Stampe et Vertongen. Nos amis Belges nous ont donné beaucoup de bonnes choses, mais, bien devant les aventures de «Tintin et Milou», celle-ci est la meilleure des histoires belges que je connaisse.
C’est à Deurne, du coté d’Anvers, en 1923 que naît la société «Stampe et Vertongen», C’est cette même année que l’équipe Alfred Renard, Jean Stampe et Maurice Vertongen fait voler l’ancêtre de toute la lignée des SV, le RSV 32/90, premier avion construit entièrement en Belgique et à bord duquel, le Roi Albert a tenu à faire un vol, piloté par J. Stampe, lui-même. En 1925, A. Renard crée sa propre entreprise, la société «Renard/Constructions aéronautiques», à Evere, dans les environs de Bruxelles. Je passe sur les détails qui n’ont pas grande importance, dans le cadre de cet article ; toujours est-il que les deux sociétés travailleront en étroite coopération, jusqu’en 1947 où elles finiront par fusionner, avec un intervalle de cinq ans : la guerre.
C’est en 1933 que sort le prototype du SV4. Après plusieurs années de mise au point et plusieurs essais de motorisation, l’avion se révèle comme un excellent appareil aussi bien pour l’école de début que pour l’entraînement avancé à la voltige. Tant et si bien, qu’en 1939, la firme française Farman décide d’en acquérir les droits de construction. C’était une bonne idée, mais qui sera stoppée net par la guerre et ses conséquences. Passe la guerre, vienne la paix, à la libération, l’Etat français passe commande de 800 appareils qui vont être construits par la société SCAN (Société des Constructions Aéronautiques du Nord) à Sartrouville, dans la banlieue parisienne. Cette commande sera suivie d’une autre de 155 appareils à l’AIA (Ateliers Industriels de l’Air) d’Alger.
De son côté, la Belgique commande, pour ses Forces Aériennes, 65 exemplaires du SV4. Ils seront équipés des moteurs Gipsy Major X, ou Cirrus Major III et auront … une verrière fermée. Ah!!! Hérésie, hérésie!!! Peut-on imaginer un Stampe autrement qu’avec avec une cabine ouverte ; il est vrai que ces iconoclastes vont aller jusqu’à concevoir un Stampe monoplan, qu’ils appelleront Monitor, mais qui n’aura pas le même succès commercial que son aîné. (Il me semble, qu’au XVe siècle, les habitants de Florence ont condamné Savonarole au bûcher pour une hérésie bien tiède, en regard de celles-là). Fort heureusement, la France qui poursuit la construction des SV4 jusqu’en 1951 en reste là, et je ne veux plus entendre parler de ces appareils belges dont la construction se poursuivra jusqu’en 1955.
C’est ainsi qu’à la fin des années quarante, la France équipe de Stampe, l’armée de l’Air, avec, en particulier, la fameuse «Patrouille d’Etampes»; mais aussi, l’Aéronavale; les Centres Nationaux, dont celui de Saint-Yan, avec des pilotes prestigieux qui ont noms de Biancotto, Notteghem, Berlin, Passadori, et j’en passe ; et enfin, nombre d’aéroclubs.
Les caractéristiques du Stampe SV4 C (c’est celui qui peut faire de la voltige, grâce à une pompe à essence supplémentaire pour assurer le vol dos) sont les suivantes :
– Envergure 8, 385 mètres
– Longueur 6, 810 mètres
– Hauteur 2, 850 mètres
– Poids à vide 502 kg
– Poids total en charge 750 kg
– Vitesse maximum 198 km/heure
– Vitesse de croisière 170 km/heure (cela me semble optimiste, je dirais plutôt 150)
– Vitesse de décrochage 65 km/ heure (on dit aussi «perte de vitesse»)
– Vitesses de montée et de descente 100 km/heure
– A l’atterrissage, le touché des roues à lieu entre 75 et 80 km/heure
– La longueur de roulement est de 120 mètres pour le décollage et de 375 mètres pour l’atterrissage.
– Plafond pratique 5000 mètres
– Distance franchissable, par vent nul 500 km
La voilure est de type biplan à ailes décalées reliées par quatre paires de mats, renforcées par des haubans croisés. La flèche est de 9° pour l’aile supérieure et de 9°15 pour l’aile inférieure. Les dièdres sont respectivement de 2°30 et 3°30.
Les ailes, le fuselage et les gouvernes sont en bois entoilé.
Le train d’atterrissage fixe est classique (avec une roulette de queue). Les freins, à tambour, sont commandés par câble. Ils sont actionnés par le pilote par une poignée agissant sur les deux roues et servant de frein de parking, ou alors, pendant le roulage, par une pression en fin de course du palonnier.
L’appareil est un avion école, biplace en tandem. La place pilote (donc celle de l’élève pilote) est à l’arrière.
Le réservoir d’essence, d’une capacité de 90 litres est placé au centre de l’aile supérieure.
Le moteur est un Renault de type Bengali 4P. Avec 4 cylindres en ligne inversés (c’est-à-dire que les têtes des cylindres sont en bas), à refroidissement par air ; il développe une puissance de 140 CV au régime de 2400 tours/minute et 110 CV au régime de croisière de 2200 tours/minute. Il consomme, en moyenne une trentaine de litres par heure.
Vous allez penser que si je garde un bon souvenir de cet avion, c’est uniquement parce que c’est celui de mes débuts et que, dans le fond, tous les élèves pilotes pensent la même chose de leur premier appareil. C’est vrai, bien sûr, mais pas complètement ; après trente ans de métier, j’ai revolé sur Stampe et j’ai pu le juger, en sachant bien, cette fois, ce que voler voulait dire. Je vous en reparlerai ci-dessous.
Si vous voulez bien me prêter encore quelques minutes de votre attention, je vais essayer de vous raconter mon histoire d’amour avec les Stampe.
Je suis entré dans l’armée de l’Air le 10 janvier 1951 ; celle-ci nous a envoyé à Aulnat (le terrain de Clermont-Ferrand). Il n’est pas dans mon propos de parler de cette base ; sachez seulement qu’elle était pratiquement en l’état où les Allemands l’avaient quittée, en 1944. Que n’ai-je le talent de Saint-Exupéry, ou Clostermann pour vous décrire l’ambiance de mes débuts en tant que militaire. D’abord, à Aulnat, l’armée de l’Air, en pleine renaissance et dépourvue de beaucoup des moyens qui nous sembleraient indispensables aujourd’hui, nous avait parqués (doux euphémisme) dans des bâtiments vétustes en attendant de nous envoyer en stages à Saint-Yan, d’abord et en Amérique ensuite (ce sera chose faite le 24 mars 1951).
Parmi les élèves pilotes en herbe que nous étions, il y avait surtout des «bleus», comme moi. D’un point de vue militaire, il y avait quelques anciens (disons un an d’armée) qui nous servaient d’encadrement et d’un point de vue aéronautique, il y avait les «brevetés du 1° degré» qui avaient déjà volé en solo (il y avait même un «2°degré») ; si les militaires ne prenaient pas trop leur rôle au sérieux, les «brevetés» ne se privaient pas de nous faire toucher du doigt le fossé qui séparait leur grande expérience de notre profonde incompétence.
Par un heureux hasard, on m’a inclus dans un stage de pilotage qui commençait, au Service de la Formation Aéronautique (SFA), à Saint-Yan, le lundi 22 janvier. En retrouvant un certain confort, c’est là que nous avons découvert le Stampe qui allait être notre avion d’arme pendant un petit mois. Avec ses deux ailes et sa cabine découverte, il ressemble au SPAD de Guynemer, alors que les avions d’aujourd’hui font plutôt penser à une voiture. On se sentait déjà un peu guerrier ; impression qui fût poussée à son paroxysme dès que nous eûmes touché nos équipements de vol – combinaison, casque et lunettes – et essayé notre parachute (un peu stressant quand même, celui-là).
En nous approchant de l’avion, on découvre la cabine (ouverte, comme je l’ai déjà précisé). Pour y entrer, il faut faire un peu de gymnastique : le pied droit sur l’aile droite et avec le pied gauche, on enjambe la porte pour entrer. Cette porte nous laisse quand même un peu rêveur ; ce n’est autre qu’une échancrure faite dans le fuselage qu’on ouvre ou ferme grâce à une mince plaque métallique qu’on doit tordre pour la mettre en place.
Le siège est un peu étroit et profond ; il est vrai qu’on s’y assoit nanti d’un parachute siège.
Les sangles (dites aussi «ceintures de sécurité ou bretelles»). Elles sont cinq, avec une boucle au centre pour tenir le tout (est-ce bien solide, cet assemblage ? Petit doute).
Les commandes de vol : manche et palonnier, bon, ça va ; la manette des gaz à portée de la main gauche, ça va encore.
– Et qu’est-ce que c’est que cette poignée, en bas à gauche ?
– Le compensateur, mais il est réglé au neutre et tu n’auras pas à y toucher (ça tombe bien, qu’est-ce que ça veut dire «compensateur» ?).
Sur le tableau de bord, il y a quand même beaucoup de cadrans : l’altimètre, le compte-tours, le compas (c’est bien, on sait ce que c’est).
– Ce cadran, c’est le Badin.
– Le quoi ?
– Badin, c’est le compteur de vitesse.
– Et ça ?
– Le variomètre (bon, on regardera sur un dictionnaire, pour ne pas avoir l’air trop idiot).
– Et ça encore ?
– Le conservateur de cap, mais tu n’auras pas à t’en servir, aujourd’hui (Ouf !).
– Et ce poussoir, sur la gauche ?
– C’est pour ouvrir l’essence.
– Et cette poignée, en bas, à droite ?
– Ne touches pas, malheureux, c’est le démarreur !
– Bon, ça y est ? Tu as tout compris ?
– Oui Monsieur Couderc (c’est le nom de mon instructeur).
– Et bien, on va y aller ; tu n’as pas peur ?
– Bien sûr que non ; si je tremble un peu, c’est parce qu’il fait frisquet, ce matin du 23 janvier.
– Faisons d’abord le tour de l’avion.
– Quelle drôle d’idée ; et ça sert à quoi ?
– A voir s’il n’y a rien qui cloche.
– A bon, il peut y avoir quelque chose qui ne va pas ?
– On ne sait jamais.
– Je me demande si l’aviation, c’était une aussi bonne idée que cela.
On s’installe.
– Tu sais te brêler (mot du jargon aéronautique qui signifie s’installer dans le cockpit, régler le siège, ajuster et attacher les ceintures de sécurité) ? Je vais t’aider.
– Ouf !
– En route.
Ah ! La mise en route du Stampe !!! Aujourd’hui, les avions démarrent comme les autos, mais là, c’est tout un poème. D’abord, il faut «faire pisser». Qu’est-ce à dire ? Pendant que le pilote agite la manette des gaz, le mécanicien, ou un simple collègue, fait tourner l’hélice jusqu’à ce que le trop-plein du carburateur s’égoutte par un petit tuyau placé sur la jambe du train gauche. Il faut alors placer l’hélice en position verticale pour que l’ensemble pistons/soupapes soit placé en position optimale. On peut démarrer : OK ; contact sur les deux (magnétos, bien sûr) ; personne devant : c’est parti. Le pilote tire sur la poignée du démarreur pneumatique. C’est là que ça démarre ou que ça ne démarre pas ; il faut donc,alors recommencer. Avec des avions bien entretenus et qui volaient tous les jours, comme à Saint-Yan, en général, ça partait bien, mais dans un aéroclub où les appareils n’ont pas volé depuis, quelques fois plusieurs semaines, c’était plus aléatoire. Quand on avait tiré sur le démarreur trois fois, il n’y avait plus d’air dans la bouteille et il fallait faire partir le moteur en lançant l’hélice à la main, exercice que les pilotes amateurs des aéroclubs n’apprécient que moyennement ; il faut alors faire appel à «celui-qui-sait-faire», qui n’est pas toujours là, mais qu’on finit par trouver au bout d’un certain temps et tout finit par s’arranger dans une ambiance héroïque dont on reparlera, au bar, à la fin des vols.
Nous voilà donc partis cahin-caha ; vers le point de départ. Il faut préciser qu’à cette époque, il n’y avait pas de piste à Saint-Yan ; c’était un «champ d’aviation» ; on avait cet avantage de n’avoir jamais à se préoccuper du vent de travers, les avions pouvaient toujours se mettre face au vent. Point fixe, décollage ; pour le moment, je ne touchais à rien, mais je savourais pleinement la minute présente, cependant que le Stampe F-BBAH emportait son jeune élève vers une carrière aéronautique qui allait durer plus de cinquante ans.
J’insiste sur le fait que sur Stampe, l’instructeur se trouve dans le cockpit avant. L’élève a donc, dans son champ de vision, la tête et les épaules du moniteur qui cachent le capot moteur et toute la vue vers l’avant ; c’est une disposition que je ne retrouverai plus sur aucun des autres avions sur lesquels je serai amené à être entraîné (le T-6, par exemple). Le jour du solo, ce sera la grande révélation que de découvrir ce panorama du moteur et de l’hélice devant ses yeux.
A l’époque, pour nous parler, nous ne disposions pas d’interphones, comme aujourd’hui ; nous nous servions d’un système acoustique où il fallait parler dans une sorte d’entonnoir ; les écouteurs, dans le casque, étant branchés sur des tuyaux. Pour s’assurer que j’avais bien compris ses instructions, Monsieur Couderc me regardait dans le rétroviseur et le souvenir de ses yeux bleus, fixés sur moi, me remplit toujours de cette crainte, à la fois admirative et respectueuse que tout élève doit à son instructeur.
J’ai passé un test avec Monsieur Notteghem, le chef de centre, et je me suis envolé, solo, le même jour ; c’était le 14 février, le jour de la Saint-Valentin, fête des amoureux ; il ne faut donc pas s’étonner de l’amour que je porte à cette petite machine.
«Vienne la nuit, sonne l’heure» chante G. Apollinaire. Vers 1980, voyant venir pour moi le couperet de la limite d’age, pour continuer à voler, je me suis inscrit à l’aéroclub du G.A.M.A, à Etampes, parrainé par l’Administration Centrale de l’Air et dans ce club, il y avait un Stampe. Pourquoi veux-tu faire du Stampe, m’a demandé le Chef Pilote ? Pour faire un peu de voltige, de temps en temps (Il est sûr que pour les voyages, il y a mieux que cet appareil). Petit test de contrôle ; je suis déclaré apte à voler (C’est une procédure normale, dans tous les aéroclubs, on ne lâche pas les gens sur leur simple bonne mine). Le Chef Pilote m’a simplement dit : «Si tu veux faire des renversements, fais les plutôt à droite, à cause du sens de rotation de l’hélice ; à gauche, l’avion risque de se bloquer, le moteur de s’arrêter et tu pourrais avoir le feu ». Je me le suis tenu pour dit et je n’ai donc fait que des renversements à droite ; je ne sais donc pas si ce que m’a dit ce brave homme est rigoureusement vrai (Rassurez-vous, je me suis rattrapé avec d’autres avions).
Je venais de retrouver toute la joie du vol de mes vingt ans, dans un avion léger et particulièrement maniable, aux commandes de vol agréables à toutes les vitesses d’évolution.
Je ne suis pas un voltigeur de grande classe et d’ailleurs, si j’admire les évolutions de nos champions actuels, je ne les envie en aucune façon ; la voltige de compétition, aujourd’hui est à base de figures brutales où le pilote, entraîné par des moteurs de plus de 300 CV encaisse des accélérations tant positives que négatives qui doivent être épouvantables. Moi, je suis pour la voltige douce et je fais tout à fait mienne, cette affirmation que Monsieur Marc Ranjon écrivait, en parlant du Stampe dans un article paru dans le journal Aviasport du mois de juin 2003 : «Il est fait pour le plaisir du vol et la voltige de détente».
En clair, je trouve mon bonheur dans l’exécution des figures classiques enseignées dans les écoles de l’armée de l’Air et que tout pilote de chasse doit avoir bien assimilées.
Avec cet avion, tous les tonneaux passent dans une fourchette de vitesse allant de 140 à 220 km/h (recommandé : 160) ; les boucles, à partir de 180 km/h et les autres figures (rétablissement, renversement… etc.), à 220 km/h.
Pourquoi vous ai-je parlé du renversement ? Parce que c’est une des figures que je préfère. Elle n’est pas simple à réaliser, et je pense qu’avec un tonneau lent bien fait, elle est la plus délicate de toute la panoplie des figures à faire avec un Stampe (J’admets, bien volontiers qu’on puisse avoir un avis différent du mien).
Je limiterai mes descriptions à celle du reversement. Bien prendre sa vitesse de départ ; placer ensuite son avion, bien droit, en position de montée à la verticale (Attention, j’ai bien dit : « bien droit », ce qui signifie que les ailes doivent être placées à la même hauteur, sur l’horizon ; j’ai bien dit aussi : «à la verticale», on se réfère, cette fois, à la position des mâts et des haubans). Quand on a l’impression que l’avion s’arrête, on retient son souffle, il ne faut pas «botter» (mot du jargon des pilotes qui signifie : appuyer à fond sur le palonnier, sans brutalité mais sans hésitation) trop tôt, car l’avion qui a encore une trop grande vitesse ferait (honte suprême), un éventail. Il ne faut pas non plus attendre trop longtemps, car l’avion, devenu impilotable, obéissant aux lois de la gravité retomberait, exécutant ce qu’on appelle une «cloche», figure heureusement sans gravité ; mais qui place le pilote, accroché à ses bretelles, dans une situation très inconfortable et soulève l’hilarité dans le groupe des copains qui surveillent les évolutions depuis le sol, confortablement installés devant la porte de l’aéroclub. Bref, il faut botter au bon moment (c’est ce que les anglo-saxons appellent le «feeling» et les français «le pif»). Pied à fond (à droite, bien sûr), gauchissement à gauche pour garder les ailes dans le plan, et l’avion semble pivoter autour du bout de son aile, sans hésitation ni mouvement intempestif, mais doucement, avec dignité, comme si cela allait de soi, je dirais «comme un gentleman bien élevé» pour se retrouver, en sens inverse, de nouveau à la verticale, mais en piqué, cette fois. La vitesse monte ; on redresse doucement pour éviter les accélérations trop fortes, et on repasse, bien aligné sur son axe, à la même altitude que celle du départ, prêt à entamer une autre figure de voltige. Oh ! Joie ! Essayez donc de faire ça avec un bateau ! (simple allusion à la rivalité amicale qui oppose depuis toujours, les aviateurs aux marins).
Bon ! S’il est si bien que ça, cet avion, pourquoi l’a-t-on abandonné ?
D’abord, ce n’est pas tout à fait vrai, et bon nombre de propriétaires de Stampe, regroupés en association dépensent beaucoup de leur temps et de leur argent pour maintenir en état de vol ces vieilles machines dont ils ne peuvent plus se passer. Ensuite, si les différents organismes d’Etat, qui ne font pas voler des avions pour le simple plaisir des pilotes, n’en ont plus, c’est parce qu’il faut vivre avec son temps et adopter les technologies nouvelles.
Restent les aéroclubs, et là, les raisons sont multiples :
– La première est que l’entretien d’un Stampe revient cher, qu’il n’y a plus beaucoup de pièces détachées et que le personnel, spécialiste des biplans haubanés, se fait de plus en plus rare.
– La deuxième est que cet avion qui n’est que biplace et relativement inconfortable, n’est pas un appareil excellent pour le voyage, principale motivation des pilotes amateurs.
– Enfin, et surtout, parce que le SV4 demande à être bien piloté et que des pilotes qui, pour différentes raisons ne peuvent avoir un entraînement régulier, ne maîtrisent qu’imparfaitement la machine. C’est un avion sans volets et, à l’atterrissage, pour ralentir sa trajectoire, il ne reste plus que la glissade, exercice délicat pour qui n’en a pas l’habitude. De plus, les terrains sont maintenant équipés de pistes ; cela entraîne l’obligation de se confronter souvent au vent de travers. Or, le train d’atterrissage de cet avion est classique, donc instable et demande par conséquent à se poser bien droit. Aujourd’hui, les constructeurs, conscients du problème, construisent des avions qui, pratiquement, volent tout seuls, en réduisant autant que faire se peut, des phases de vol comme le décrochage ou le second régime ( dans les basses vitesses, il existe toute une plage de valeurs, appelée « second régime », dans laquelle la puissance nécessaire au vol est d’autant plus forte que la vitesse est faible ) en occultant les difficultés de centrage et dotant la majeure partie des avions de tourisme de trains tricycles (avec une roulette de nez) donc stables (voir les explications en annexe) si un pilote pose son avion un peu de travers, il revient de lui-même dans l’axe. On comprend pourquoi, les présidents des clubs, après quelques incidents n’hésitent pas à se débarrasser de leur cher vieux Stampe.
L’avion du Musée est le SV4C N°149, immatriculé F-BBQL. Sorti des usines de la SCAN en 1946, il est attribué au Centre National de Saint-Yan, le 28 novembre de la même année ; il y restera jusqu’au 14 mars 1955. Dans les documents de vols, on note le passage de Gérard VERETTE, le champion de voltige qui, avec Jacques GOMY, trouva la mort le 5 janvier 1967 au cours d’un vol d’essais du CAP 100, prototype de tous les CAP 10, 20, etc…
Il est acquis ensuite par l’Aéroclub de l’Armagnac, à Condom, le 3 décembre 1956. Il change alors plusieurs fois de propriétaires et, le dernier d’entre eux, Madame Cormouls-Houles, en fait don au Musée de l’Air, le 20 février 1969.
Il a effectué 1852 heures de vol.
On reviendra souvent te saluer, petit avion !
Jean-Paul Reynaud (AAMA)
ANNEXE
Pour bien se poser, il est nécessaire de maintenir l’axe de son avion bien aligné avec l’axe de la piste. Dès que la direction du vent n’est pas rigoureusement identique à celle de la piste, on dit qu’il y a du « vent de travers » et, pour maintenir son avion dans le bon axe, le pilote doit, plus ou moins, diriger le nez de l’avion vers la direction d’où vient le vent. Au moment du « toucher de roues », le pilote se doit de ramener l’axe de l’avion parallèle à celui de la piste, tout en contrant les effets du vent qui ont tendance à modifier sa trajectoire. Cette manœuvre est assez délicate et les pilotes amateurs qui ne volent pas régulièrement, éprouvent parfois quelques difficultés à la réaliser correctement. Dés lors, lorsqu’ils touchent la piste, l’axe de leur appareil fait un certain angle avec celui de la piste.
G : centre de gravité – RD : roue droite – RG : roue gauche – RQ : roulette de queue – RN : roulette de nez.
La vitesse d’approche des deux appareils est matérialisée par le vecteur V qui s’applique au centre de gravité G. Il peut être décomposé en deux autres vecteurs, V1 et V2 ; le premier étant confondu avec l’axe de l’avion et le deuxième perpendiculaire à cet axe.
On voit que dans le cas d’un avion à train classique (figure 1) le vecteur V2 a tendance à aggraver la situation ; si le pilote ne maintient pas convenablement son avion à l’aide du palonnier, celui-ci va se mettre à tourner ; on dit qu’il fait un «cheval de bois» et l’avion peut subir des dégâts plus ou moins importants.
Dans le cas d’un avion à train tricycle (figure 2), le vecteur V2 a tendance à ramener l’avion dans l’axe de la piste, même si le pilote, dépassé par les évènements, ne fait rien
Article extrait du Pégase n°133 juin 2009.