Lorsqu’il n’y a pas d’autre guide parlant anglais, il arrive parfois que le Musée me charge d’accompagner dans les halls un groupe de visiteurs britanniques. Mes talents dans la langue de Shakespeare ne sont pas ce qui se fait de mieux, mais on se comprend quand même. Régulièrement, lorsque nous arrivons au fond de la Grande Galerie, j’entends poser cette question : «How did you get this plane ?». Si on y ajoute l’accent de la surprise, cette exclamation pourrait se traduire par : «Comment diable avez-vous bien pu faire pour avoir cet avion?». Ce à quoi je réponds : «It is because vous nous l’avez donné en 1919 et nous l’avons gardé». Car il est magnifique, cet avion suspendu au plafond, au dessus du «Bréguet 14». C’est un «DE HAVILLAND DH 9» ; et, bien que les anglais en aient construit, à partir de 1917, plusieurs milliers d’exemplaires, si on fait abstraction de l’appareil exposé au RAF Museum à Londres qui est un DH 9A reconstruit en 1960 à partir d’un fuselage retrouvé en Pologne (renseignements pris sur « internet »), il n’en reste pratiquement plus dans le monde ; ils ont tous été détruits. Le nôtre est un des tout derniers, sinon le dernier, DH 9 d’origine existant. Il est complet et pour employer un langage d’antiquaire, il est «dans son jus», c’est-à-dire qu’il n’a même jamais été restauré ; tel qu’il est, tel il était sur le front les derniers jours de la Grande Guerre.
Equipé du moteur «Siddeley Puma» de 230 Cv, l’avion du Musée est le DH 9 N°1258. Il faisait partie d’un lot de 300 exemplaires construits par la firme «Waring and Gillow Ltd» et, sur le coté droit du fuselage, une inscription : «A Battery, 2nd Siege Artillery Reserved Brigade» nous renseigne sur ce qui était, vraisemblablement la dernière affectation de l’appareil, à savoir, la batterie A de la deuxième brigade de réserve de l’artillerie de siège (il peut s’agir aussi du nom d’une unité marraine de cet appareil). Nous devons encore chaleureusement remercier la Royal Air Force qui, à l’époque, venait juste d’être créée, d’avoir offert cet avion à l’Etat Français, dans le but de participer à l’établissement des premières collections du Musée de l’Air qui, en 1919, était encore en l’état de gestation.
Cet appareil est le fruit du travail d’un homme qui a occupé la scène de l’aéronautique mondiale depuis les tout débuts de l’aviation, jusqu’à l’avènement des avions de transport à réaction : Geoffrey De Havilland. Deuxième fils du Révérend Charles De Havilland, il est né le 27 juillet 1882, dans le Buckinghamshire. Dés l’école, il affiche un intérêt très marqué pour la mécanique ; goût qu’il gardera toute sa vie. Après des études universitaires à Oxford, il cherche à se spécialiser, entre 1900 et 1903, à la « Crystal Palace School of Engineering ». En 1905, il obtient un premier emploi comme concepteur dessinateur, à la « Woseley Tool and Motor Company », à Birmingham, où il réalise une motocyclette : la « Blackburn » qui obtient un certain succès.
L’arrivée en Europe des frères Wright, en 1908, décide de sa destinée : il sera « constructeur d’avions ». (Il est curieux de constater le parallélisme des vocations entre lui et cet autre grand constructeur que fut Anthony Fokker dont j’ai déjà résumé l’histoire dans le Pégase N° 125). Dans un premier temps, il entreprend, avec l’aide d’un ami nommé Frank Hearly, et grâce à un don de 1.000 livres que lui accorde son grand-père, la construction d’un premier moteur et d’un premier appareil avec lequel il envisage d’apprendre par lui-même à piloter. L’avion, un biplan à gouvernail de profondeur de type « canard » et à deux hélices propulsives entraînées par le même moteur, est prêt en décembre 1909. Sa première tentative de décollage est un échec, l’avion est détruit, mais le moteur est intact. Sans se décourager, les deux amis construisent un nouvel appareil qui vole correctement, cette fois, pendant l’été 1910 et sur lequel Geoffrey s’exerce au pilotage. Grâce à certaines relations dans le milieu militaire, il entre, en décembre 1910, à la « Balloon Factory » (qui deviendra la « Royal Aircraft Factory (RAF) ») à Farnborough, en tant que seul concepteur et seul pilote d’essais. De plus, son employeur et le « British War Office » lui achètent, pour 400 livres, son premier appareil qu’il développe sous le nom de « FE1 » ; premier sigle officiel décerné par la RAF.
Dans cette firme, à partir de 1912, il sort la série des BE, 1, 2 et 2C.
En mai 1914, il est engagé à la « Aircraft Manufactoring Company » (appelée aussi Airco) pour en créer et diriger le « Design Department », à Hendon. A la déclaration de la guerre, il reste à ce poste et y restera jusqu’au rachat de la firme par la « Birmingham Small Arms Company » (B.S.A), en 1920.
En janvier 1915, le DH1, premier appareil à recevoir les célèbres initiales « DH » fait son premier vol. (A ce sujet, on peut se demander pourquoi ces initiales n’ont pas été utilisées plus tôt ? C’est parce qu’en toute modestie, Geoffrey faisait référence à ses prédécesseurs ; FE signifie « Farman Experimental » pour les avions à hélice propulsive et BE « Blériot Experimental » pour les avions à hélice tractive ; en quelque sorte : « à la manière de Farman ou Blériot »). Le suivant, le DH 2 est un chasseur à moteur arrière et hélice propulsive ; armé d’une mitrailleuse « Lewis », il est le premier appareil à équiper les unités d’une façon homogène.
Le plus célèbre est, incontestablement, le DH 4 ; cet appareil, apparu en 1916, est, pour la Première Guerre Mondiale, ce que sera le « Mosquito » pour la seconde ; c’est-à-dire un bombardier dont la vitesse et le plafond sont souvent égaux, sinon supérieurs à ceux des avions de chasse de l’époque. Si 1500 exemplaires du DH 4 sont construits en Grande Bretagne, les USA en construisent plusieurs milliers qu’ils utiliseront, une fois la guerre finie, à la mise sur pied de la poste aérienne, dans ce vaste pays.
Pour répondre aux incursions allemandes au dessus du territoire anglais le successeur du DH 4 devra être plus rapide et avoir un rayon d’action qui lui permette d’atteindre des objectifs en Allemagne ; ce sera le DH 9 dont nous allons parler, ci-dessous.
A la fin de la guerre, 18,5% des appareils en service en Grande Bretagne sont des « De Havilland ».
En 1920, la firme « Airco » est rachetée par B.S.A, entreprise qui n’envisage pas de fabriquer des avions. Geoffrey De Havilland, emmenant avec lui les personnels spécialistes de son ancien employeur, crée alors sa propre compagnie.
Pendant la période dite de « l’entre-deux-guerres » un grand nombre d’appareils sortent de la firme, dont la lignée des « Moth » et son célèbre « Tiger », ainsi que le « DH 84 Dragon », petit bimoteur biplan à train fixe, dont le premier vol date de novembre1932, suivi du « Dragon rapide » qui est davantage connu et qui servira d’avion d’entraînement à la navigation dans la RAF.
Pendant la guerre, le célèbre Mosquito, avion polyvalent s’il en est, à la fois chasseur puissant et bombardier rapide, appareil en bois équipé de deux moteurs « Merlin » équipe les unités de la RAF à partir de 1941.
Le DH 100 Vampire, remarquable par son fuselage bipoutres, est le deuxième chasseur à réaction construit en Grande Bretagne ; arrivé à la fin des hostilités, la RAF lui préfère le Gloster Météor, mais, sa version « Mark 5 » a un très grand succès à l’exportation et de nombreux pays, dont la France, l’achètent ou le construisent sous licence.
Enfin, « De Havilland » construit, le premier dans le monde, un avion de transport à réaction (tout au moins pour ce qui est d’être construit en série), le DH 106 Comet dont le prototype vole le 27 juillet 1949.
Geoffrey De Havilland est anobli par le Roi George VI en 1944 et devient ainsi « Sir Geoffrey ».
Il prend sa retraite en 1955, mais conserve la présidence du groupe. Depuis 1909, il a réalisé 112 types d’avions différents.
Il cesse toute activité lorsque son entreprise fusionne avec « Hawker-Siddeley », en 1961.
Sir Geoffrey De Havilland est décédé le 25 mai 1965, deux mois avant ses 83 ans.
En 1917, ainsi que je l’ai déjà signalé, la riposte britannique aux raids allemands sur le territoire anglais sera le DH 9. Il est chargé d’assurer la relève de l’excellent DH 4 tout en ayant la possibilité d’atteindre le territoire allemand aussi bien pour les missions d’observation que de bombardement.
Le DH 9 reprend une partie de la structure du DH 4 : le train d’atterrissage les ailes et la queue dont l’aspect de la dérive restera la marque de fabrique des avions De Havilland et qu’on retrouvera jusque chez le Mosquito en passant par le Tiger Moth. C’est un biplan avec deux paires d’ailes semblables séparées l’une de l’autre par un espace de 6 pieds (1,83 m) ; elles ont une envergure de 42 pieds, 6 pouces (12,92 m) et une largeur de 5 pieds, 6 pouces (1,68 m) ; elles présentent un dièdre de 3 degrés ; l’aile supérieure est située 12 pouces (30,48 cm) plus avant que l’aile inférieure. Le DH 9 a une longueur de 30 pieds, 5 pouces (9,27 m) et sa hauteur hors tout est de 11 pieds, 4 pouces (3,45 m) ; son poids à vide est de 1014 Kg.
Le fuselage est plus fin que celui du DH 4, car on n’a pas conservé la position du réservoir d’essence qui, placé entre le pilote et le mitrailleur, gênait les communications entre les deux membres d’équipage ; d’une capacité de 74 Imperial gallons (280,2 litres), il est maintenant placé devant le pilote et les membres d’équipage sont placés dos à dos. Le DH 9 est équipé du moteur Siddeley « Puma » ; c’est un six cylindres en ligne d’une puissance de 230 CV, monté à la mode allemande avec les têtes de cylindre exposées qui entraîne une hélice bipale de 9 pieds, 6 pouces (2,90 m) de diamètre.
Cet avion nous réserve quelques curiosités. Le radiateur, placé sous le fuselage, derrière le moteur est rétractable et cela n’est pas encore une technologie courante, pour l’époque. Sous les ailes basses, deux arceaux métalliques protègent les câbles qui actionnent les ailerons. Placées devant le cockpit, sur le capot moteur, se trouvent deux petites hélices ; à priori, je pensais qu’elles avaient pour mission d’entraîner une dynamo, mais non, elles sont présentées, dans les documents techniques comme des « Wind driven petrol pumps » c’est-à-dire comme des pompes à essence entraînées par le vent relatif, alors que ce genre d’accessoire est généralement entraîné mécaniquement par le moteur.
Plus étrange encore, l’emplanture de l’aile inférieure droite n’est pas entoilée sur une largeur d’environ 25 cm (disons 10 pouces, pour rester dans les unités anglo-saxonnes) et le même document technique indique cela comme étant « lower wing internal bracing showing thru uncovered root bay » et cette « vue des fixations internes de l’emplanture de l’aile inférieure à travers une ouverture de l’entoilage » me laisse perplexe : j’avais, tout d’abord pensé que cette anomalie était propre à notre 1258 ; mais non, les photos prises sur les appareils de l’époque montrent que cette caractéristique était commune à d’autres DH 9. Alors, à quoi cela pouvait-il servir ? A faciliter l’observation aérienne ? Pourquoi pas ? Mais la logique aurait voulu qu’on retrouve une disposition identique, sur l’aile gauche. L’idée d’une surveillance constante des attaches des ailes me semble extravagante. Je n’ai pas su trouver, dans les documents que le service de la documentation du Musée a mis à ma disposition, d’article abordant le sujet et je n’ai donc aucune explication satisfaisante à avancer. Mais peut-être se trouvera-t-il un lecteur pour nous éclairer?
Nos Lecteurs nous répondent
Monsieur Pierre Lalanne (AAMA 4774), de Dinard dans l’Ille et Vilaine, apporte une réponse à la question:
pourquoi l’emplanture de l’aile droite du D.H.9 est-elle désentoilée sur quelques centimètres ?
« D’après les écrits de J.M Bruce dans British Aeroplanes 1914 – 1918 ; la position plus en retrait du siège pilote, par rapport à celui du D.H.4 faisait que l’aile inférieure masquait toute visibilité, tant vers l’avant que vers l’arrière ; c’est pour pallier cet inconvénient que cette disposition aurait été adoptée».
Merci Monsieur Lalanne voila un point éclairci.
L’armement du DH 9 comprend une mitrailleuse « Vickers » calibre ,303 (7,70 m/m) synchronisée, tirant vers l’avant et une (ou deux) mitrailleuse « Lewis » de même calibre montée sur l’anneau Scraff qui se trouve sur l’habitacle arrière. Accrochées sous les ailes ou sous le fuselage ce bombardier peut emporter deux bombes de 230 lbs (104 kg) ou quatre bombes de 112 lbs (51 kg), mais, équipement encore relativement rare pour l’époque, surtout pour un monomoteur, il dispose d’une soute intérieure ou il peut stocker 12 bombes de 20 lbs ou 6 bombes de 50 lbs. Sous le fuselage, outre les orifices de sorties de la soute à bombes, on distingue le système optique du viseur de bombardement ainsi que les ouvertures derrière lesquelles on peut installer des appareils photographiques. Le cas échéant, le DH 9 peut recevoir un équipement radio.
Le premier vol du DH 9 s’est déroulé au mois de juillet 1917 et les unités combattantes ont commencé à être dotées de cet appareil en novembre de la même année. Mais, hélas, les essais se révèlent particulièrement décevants. Le moteur dont on espérait obtenir une puissance de 300 CV, doit être limité à 230 CV. Dés lors, avec une vitesse maximum ne dépassant qu’à peine les 180 Km/heure et un plafond de 4700 mètres, les performances du nouvel avion sont du même ordre de grandeur que celles du DH 4 qu’il est censé remplacer. Par ailleurs, la fiabilité du « Puma » s’avère lamentable et sa consommation de 54 litres/heure, plus élevée que prévue, en limite le rayon d’action. Les pertes sur le front, dues principalement à des défaillances du moteur, sont catastrophiques; tant et si bien que le commandement du Royal Flying Corps en France demande qu’on en revienne au DH 4 ; mais la décision d’en arrêter la fabrication avait déjà été prise, il ne reste plus qu’à changer de moteur. Après en avoir essayé quelques autres types, on se tourne vers le robuste moteur américain « Liberty ». Construit par la firme Packard, c’est un V 12 qui développe une puissance de 400 CV.
Le nouveau modèle arrive sur le front français en août 1918. L’amélioration est sensible, la vitesse atteint 200 Km/heure, le plafond 5.110 mètres et la capacité d’emport de bombes passe de 210 à 335 Kg. Mais, pour en arriver là, il a fallu apporter à l’appareil des modifications qui sont loin d’être anodines. L’envergure augmente de 1,10 mètre et la surface alaire passe de 40,3 à 45,2 m2. Si la longueur diminue de 5 cm, la structure doit être renforcée et le poids à vide de l’appareil est de 1272 Kg pour un poids maximum en charge de 2111 Kg. Avec son capot moteur rectangulaire et son radiateur frontal, le DH 9A ressemble davantage à un DH 4 qu’au DH 9 original. Pour parler clairement, en choisissant le « Liberty », Geoffrey De Havilland ne s’est pas contenté de simplement changer de moteur, il a pratiquement conçu un nouvel avion.
La production cesse en 1919, mais, le DH 9A continue d’équiper la Royal Air Force jusqu’à la fin des années 20. Il est construit sous licence aux Etats-Unis et il est exporté dans tous les continents, principalement en Europe : en Belgique, en Hollande, en Pologne, en Russie, en Grèce, en Suisse ou en Espagne où des DH 9 participent aux opérations de la guerre civile, en 1936, tant dans le camp des Républicains que des Nationalistes ; le dernier ne terminant sa carrière qu’en 1940. Ailleurs, ce sera le Canada, le Nicaragua, le Pérou, mais aussi, la Turquie, l’Inde, l’Afghanistan, l’Australie, l’Afrique du Sud… etc.
Une demande pour le reconditionnement des DH 9 existe jusqu’en 1924 et, outre son utilisation militaire, il connaît une carrière civile très importante pour le transport du courrier et certains sont convertis en triplaces ou quadriplaces pouvant amener ainsi deux ou trois passagers. Puis, les stocks étant très importants, on se désintéresse de cette activité de transformation qui, petit à petit, tombe en désuétude, tant et si bien qu’en 1931, on finit par brûler ce qui reste (renseignements recueillis par «internet»).. Il ne fait aucun doute que c’est dans ce brasier qu’il faut voir un début d’explication au fait que le DH 9 du Musée de l’Air et de l’Espace reste le dernier survivant d’une aussi célèbre lignée d’appareils.
Jean-Paul Reynaud (AAMA)
Nota : J’ai orthographié « De Havilland » avec un D majuscule, car, dans le dictionnaire, il apparaît dans les pages « D », inscrit de la façon suivante : De Havilland (sir Geoffrey). Ecrit avec un d minuscule, on le trouverait dans les pages « H », inscrit de la façon suivante : Havilland (sir Geoffrey de). C’est ainsi qu’on trouve le Général de Gaulle dans les pages « G », inscrit de la façon suivante : Gaulle (Charles de). Cela dit, cette épineuse question ne change rien à la renommée de ce grand pionnier de l’aéronautique.
Article extrait du Pégase n°131 décembre 2008.