Mes souvenirs de pilote de DC-8 à l’UTA par Pierre Brémard

Le F-BJLB au Bourget

Pierre Brémard à la visite SARIGuE

Suite à la visite exclusive de l’AAMA du DC-8 SARIGuE en mai, notre Ami Pierre Brémard (au centre avec la casquette sur la photo) a bien voulu nous partager son expérience en tant que pilote de DC-8 pendant sept ans à UTA.

Après avoir obtenu le BIA il décrocha le brevet de pilote de planeur puis de pilote privé à Dole-Tavaux. Il entra ensuite à l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile) puis débuta sa vie professionnelle sur Falcon 20 en Arabie saoudite et en Egypte.

Il poursuivra sa carrière en tant que pilote de ligne à UTA (15 ans) sur DC-8 ; DC-10 ; Boeing 747 (200-300-400), puis commandant de bord à Air France (20 ans) sur Boeing 737 (300-500) (dont 3 ans à l’Aéropostale), instructeur, examinateur, ensuite sur Airbus A340 & A330 et finalement Boeing 777 (200 et 300ER). 

Il est devenu membre de l’AAMA en 2011 et intégra le groupe des accompagnateurs, dont il fait toujours parti. Il est membre du Conseil d’administration de notre association depuis 2013 et fut rédacteur en chef de notre revue Pégase de 2017 à 2023.


La formation.

Embauché en avril 1977 chez UTA, nous étions douze Officier Pilote de Ligne (OPL), dont Christian Ravel, le futur président du GPPA d’Angers, et six Officier Mécanicien Navigant (OMN) en stage, mais sans Commandant de Bord (CDB).

La formation au sol se déroulait à l’ancienne, au centre de formation UTA de Roissy, avec des cours magistraux menés par des instructeurs sol, avec lesquels nous entretiendrons des liens amicaux. Toutes les présentations des circuits et techniques d’utilisation (cours TU) se faisaient à l’aide de boîtiers de diapos, sur un écran mural.

Suivaient cinq séances de link-trainer de trois heures pour se remettre dans la peau d’un pilote.

Pour la phase simulateur, toujours à Roissy, nous étions six groupes de trois Personnels Navigants Technique (PNT), comprenant deux stagiaires OPL, devant, et le stagiaire OMN, derrière. Les deux pilotes étaient alternativement en place gauche et en place droite.

Prenaient place en retrait, un Instructeur Pilote de Ligne (IPL, F. Pithon pour moi) et un Instructeur Mécanicien Navigant (IMN J. Jureck), soit cinq personnes dans ce simulateur DC-8, assez rustique à l’époque : articulé sur vérins pour les sensations, mais avec un visuel uniquement de nuit ne faisant apparaître que les balisages.
Nous y effectuions une douzaine de séances de cinq heures, avec une pause de dix minutes au milieu, puis changement de côté, le pilote assis à gauche remplissant les fonctions du CDB. La onzième et dernière séance était le contrôle final.

Pour nous familiariser avec le travail réel en équipage, la première rotation se faisait d’abord comme observateur, assis en place arrière. J’eus droit à un courrier Roissy – Marseille (avec un découché) -Nouadhibou – Conakry – Abidjan, avec un stagiaire CDB, Marcel Laurent, ancien instructeur PP1 du SFA à Saint-Yan, lui-même en phase de lâcher commandant de bord, chaperonné par une ancienne figure de la ligne Titin Gauthier.

Pierre Brémard dans le cockpit du DC-8, copilote avec un seul galon à l’époque

A l’embauche, le pilote n’avait qu’un seul galon, puis deux au bout de quatre ans et trois lorsqu’il avait passé le brevet pratique de pilote de ligne

Fin août, la phase de vols d’entrainement était généreuse : environ huit heures de prise en main, sur l’aérodrome de Grenoble – Saint-Geoirs : des séances de mania en DC-8 au-dessus de l’Alpe d’Huez (la station de mon instructeur), du vol en secteur, puis des tours de piste, comme en aéroclub !

J’avais comme élève instructeur Jean Rossignol (futur chef pilote Concorde) supervisé par un instructeur plein (et son ami) Edgard Chillaud (le futur dernier chef du secteur Concorde qui aura à gérer, 23 ans plus tard, le crash de Gonesse).

NB : Coïncidence, je retrouverai ce dernier, onze ans plus tard en septembre 1988, pour ma prise en main du Boeing 747, effectuant mes tours de piste en VHL (Vols Hors Lignes) cette fois-ci à Toulouse-Blagnac (je quittais alors quatre années sur DC10-30).


L’apprentissage en ligne.

En 1977, UTA possédait encore une dizaine de DC-8 sur les 18 acquis au total. Ces appareils desservaient essentiellement des destinations africaines, en pool avec Air Afrique (vols passagers et cargo). Le réseau Asie-Pacifique était alors le privilège des DC-10.

LE DC-8 63 F-BOLL au Bourget

DC-8 55F cargo F-BUOR

Pour l’adaptation en ligne, en septembre, l’instructeur était un mordu de vol à voile, habitué de Sisteron-Vaumeilh, Luc Poty. Mon premier vol en fonction se fit sur un DC-8 62 lors d’un Aller/Retour Roissy – Malte – Tripoli, soit quatre étapes.

Pour le contrôle final, l’instructeur m’avait fait cette réflexion :

Au début je me plaignais des critères de sélection de nos jeunes copilotes, jusqu’au jour où mon fils m’a emmené voir « La Guerre des étoiles », et quand j’ai vu cet horrible singe qui ne poussait que des grognements (Chewbacca), je me suis dit que notre recrutement n’était pas si mal ! 

Pierre Brémard en 1978, toujours en DC-8

DC-8 63 F-BOLM

Plus tard, le plus long des DC-8, le 63 (10 m de fuselage en plus, motorisé avec des réacteurs Pratt & Whitney JT3D rectilignes donnant à l’avion une forme élancée), se révéla délicat à poser par vent travers : un beau boum à l’atterrissage à Libreville ! Une leçon d’humilité ; il faudra que le métier rentre !

Les réacteurs longilignes JT3D d’un DC-8 au-dessus des Alpes


Quelques particularités.

Les fenestrons avec leurs rideaux.
©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

Venant des Mystère 20 du SFA à Saint-Yan, le pare-brise du DC-8 était beaucoup plus étroit en champ visuel, d’où les fenestrons supérieurs pour voir en virage. Il fallait s’adapter à la taille et à l’inertie d’un avion long-courrier, mon premier des trois types de quadriréacteurs qui suivront : le Boeing 747 et l’Airbus A340.



Le manche place gauche.
©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

Au roulage, seul le CDB avait le volant de direction du train avant (le tiller). Ainsi l’OPL faisait la radio au sol. Le pilotage était agréable mais musclé (surtout au simulateur, en panne hydraulique).
En pilotage manuel, les réacteurs Pratt & Whitney JT3 s’ajustait à l’EPR (Exhaust Pressure Ratio) et non encore au N1 (pourcentage du nombre maximum de tours/min). Le couple cabreur à la mise en poussée et piqueur à la réduction, obligeait à le trimer en permanence (trim sur le volant de manche).

La console centrale.
©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

La navigation se faisait au Doppler au-dessus du Sahara, sur lequel on affichait des tronçons successifs (une route magnétique et une distance d’environ 400 Nm), puis lorsqu’on capturait un VOR-DME de l’Afrique sub-saharienne, on corrigeait et on se recalait ; ensuite on appliquait cette correction au tronçon suivant. Sur les vols océaniques, avec en plus un navigateur, l’avion était doté d’un sextant périscopique. Les centrales inertielles viendront plus tard sur le Pacifique.

Le DC-8 F-BJLB en 1971

La machine montait à IAS 280 kt puis Mach 0,79. Comme il n’y avait pas d’automanette, c’est l’OMN qui ajustait constamment les manettes de gaz en croisière pour tenir le Mach.

Cet avion avait été conçu sans aérofreins, comme plus tard sur le Concorde. La décélération rapide se faisait, moteurs au ralenti, en sortant les reverses des moteurs internes 2 et 3.

Comme le supersonique, il n’avait pas d’Auxiliary Power Unit (APU). Cela signifiait : pas de climatisation sous les températures élevées de l’Afrique. Avec plus de 50°C à l’intérieur, les passagers et l’équipage prenaient des bains de sueurs ! Il fallait alors brancher un véhicule de ventilation, lorsqu’il y en avait un.

La mise en route nécessitait un groupe au sol électrique (Ground Power Unit ou GPU) et un groupe compresseur pour envoyer l’air sous pression aux démarreurs des réacteurs (Air Supply Unit ou ASU).

Il n’avait pas non plus de packs pour la pressurisation, mais quatre turbocompresseurs (TCC), noyés dans des ouïes, sous le nez du cockpit, tournant à 30 000 tours/min.


L’arrivée des réacteurs CFM56.

Pierre Brémard devant le DC-8 73 TR-LTZ présidentiel, à Libreville, lors d’une visite du président François Mitterrand

Par la suite, lorsque nous étions détachés sur des vols présidentiels gabonais (parfois aussi sur celui du Mozambique), le DC-8 63 du président Omar Bongo fut le premier en France à être remotorisé avec des CFM56, aux USA à Tulsa dans l’Oklahoma, en 1982. Il reçut la nouvelle appellation DC-8 73.  
Le CFM donnait 20% de poussée supplémentaire et réduisait la consommation de 15%. Il se pilotait au N1, comme les avions modernes d’aujourd’hui et avait un APU sous l’emplanture de l’aile. Enfin un avion autonome ! Il croisait à Mach 0,80 et accrochait, à masse égale, 2000 ft (600 m) plus haut qu’un modèle 63.

Au roulage, même au ralenti, les CFM poussaient. En vol, l’avion était plus long à décélérer. Mais il était devenu remarquable par sa puissance, son économie de carburant, et simplement son confort !

UTA Industries effectuera le rétrofit dans ses hangars du Bourget, pour le compte de l’armée de l’Air qui lui confiera ses DC-8 ainsi que les KC-135 et les AWACS.



Pour être qualifié sur DC-8 73, la DGAC exigeait de suivre un stage au sol sur les différences et une prise en main sur un terrain. Ce fut à Beauvais, cette fois-ci que nous avons accompli 50 minutes de touch and go, la veille de Noël, le 24 décembre 1982 !

Pierre Brémard (AAMA)

Remerciements à Jacques Guillem, Charles Pigaillem (AAMA) et au Musée de l’Air pour les photos.

Retour vers les actualités de l’AAMA et du Musée.

Pierre Brémard à la place OPL avec Robert Ebrardt en CDB et Denis Gerbaud en OMN

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