Lorsque le visiteur pénètre dans le hall des prototypes il marque sa surprise par quelques exclamations sur l’originalité des machines qu’il aperçoit : sur sa droite le Triton qui, avec ses portières genre automobile, ferait penser à un original avion de tourisme, un peu plus loin les deux étranges tuyaux de poêle Leduc qu’il faut longuement présenter, sur sa gauche un gros Mirage avec « plein » de réacteurs dans le fuselage et plus avant encore un avion vraiment futuriste, auréolé du fait d’avoir eu André Turcat comme pilote ; enfin, comble d’incongruité, un réacteur posé verticalement surmonté d’un siège où un pilote a eu le courage de s’assoir ! Bien sûr ceux qui ont gardé le souvenir des merveilleux Salon des années 50/60 se montreront un rien blasés !
Le visiteur est un peu rassuré lorsqu’il découvre des avions plus conventionnels, Mystère IV, Mirage IIIA 01 ou Trident mais il est de nouveau interpelé par un gros avion, tapi dans le coin le plus éloigné du hall : le Mirage G8 01, avec une aile complètement repliée et l’autre sortie au maximum, à l’évidence différente, avec tous ces éléments qui lui donnent des allures d’ombrelle. Alors le guide, sans faire un cours magistral d’aérodynamisme, d’expliquer que l’avion ne volait pas ainsi et que les deux ailes affichaient une position symétrique mais variable en fonction de la « vitesse ». C’est de cet appareil que nous allons parler aujourd’hui.
Les origines : le Mirage IIIV et le Mirage IIIF2 01
L’origine du programme qui a vu naître le G8 est à rechercher quelques dix ans plus tôt, lorsqu’il fallut trouver un vecteur pour une arme nucléaire tactique, tant en France qu’au sein de l’OTAN. Parallèlement la vulnérabilité des infrastructures des forces aériennes conduisit à chercher des avions pouvant opérer à partir de terrains semi-préparés. Ainsi en 1957 l’OTAN choisit un petit avion, le Fiat G91 pour répondre à ce dernier besoin, mais sans capacité « nucléaire ». L’organisation fit ensuite l’impasse sur la deuxième génération des avions légers d’appui tactique – qui était promise à un dérivé du Breguet Taon – pour lancer, en août 1960, l’ambitieux programme NBMR3 pour un avion V/STOL (short/vertical taking off and landing ou décollage et atterrissage court et/ou vertical) capable d’emporter une charge de 1250 lbs (570 kg) sur une distance de 250 mn (460 km) à M ,92, à l’altitude de 500 ft (150 m), restant 5 mn sur l’objectif et revenant dans les mêmes conditions, avec une réserve de 10% de carburant. La France a lancé un programme voisin en octobre 1960 qui conduit à la commande du Mirage III V. Nous parlerons une autre fois de ce programme et du Mirage IIIV 01 exposé dans le hall des prototypes. Notons simplement qu’aussi bien la France que l’OTAN abandonneront leur fiche programme, en particulier du fait que moteurs et équipements n’étaient pas au rendez-vous.
Le besoin subsiste néanmoins et après bien des hésitations entre deux formules, un avion à voilure delta avec ou sans empennages horizontaux ou un avion à voilure en flèche avec des empennages traditionnels, ce sera cette dernière qui sera commandée sous la forme du Mirage IIIF2 01, en janvier 1964. L’ambigüité de cette commande est, qu’officiellement, il s’agit d’un avion banc d’essais du système d’armes et du moteur du Mirage IIIV (dont le premier prototype volera un an plus tard), mais accessoirement l’avion est considéré comme une solution de repli en cas d’échec du Mirage IIIV. D’ailleurs la mission type des clauses techniques est plus ambitieuse que celle du « vertical » : intervention à 620 km avec une arme nucléaire de900 kg à M0,9 à 150 m, 5 mn sur zone et retour dans les mêmes conditions. L’avion doit aussi être capable d’une interception à M2, à 16.000 m, avec un engin Matra 530. Son système d’armes comporte un radar Antilope ou Cobra permettant un suivi de terrain en aveugle (comme les Mirage 2000N et D), un SLAR Rafal (futur Rafael), un pilote automatique couplé au radar, une centrale à inertie et un doppler. Ceci 20 ans avant l’entrée en service des Mirage 2000 N & D. L’avion volera en juin 1966 sans système d’armes mais se montrera précieux comme banc d’essai du réacteur Pratt & Whitney/SNECMA TF-306, alors qu’il est abandonné comme avion d’armes tout comme ses versions ultérieures, les Mirage F3 de pénétration et d’interception : dommage, il avait très sérieusement intéressé les Israéliens, avec un système d’armes allégé et 4 canons de 30 mm. Il permettra aussi de peaufiner les hypersustentateurs du Mirage F1.
La géométrie variable et le GVFB
Les raisons de cet abandon sont à chercher dans une nouvelle formule aérodynamique : la géométrie variable ; on devrait plutôt dire la flèche variable. Si on excepte le Bell X5 – inspiré d’un projet allemand Messerschmitt P1101 – dont la flèche varie modérément en vol, le pivot se déplaçant pour conserver le centrage et un avion Grumman XF10F-1 peu réussi, le premier à utiliser avec succès la formule est le General Dynamics F-111, avion de pénétration à basse altitude de 45 t, commandé en 1960. Malgré des problèmes techniques et de poids, il s’avéra un avion réussi pour l’USAF et inexploitable pour l’U.S. Navy qui commandera plus tard l’excellent F-14. On notera que ces avions utilisent le
P&W TF-30, différent du TF-306 essentiellement par sa partie postcombustion.
En mai 1965 les gouvernements britanniques et français signaient un accord de coopération pour la réalisation en commun d’un avion d’appui tactique (ex ECAT français), le futur Jaguar et pour un avion à géométrie variable, le GVFB (en français Géométrie Variable Franco-Britannique). Le projet associe la BAC (Bristish Aircraft Corporation) et Dassault pour la cellule, SNECMA et Bristol pour le moteur M45G, déjà choisi. Le projet de ce bimoteur est présenté par les industriels le 31 octobre 1965, donc en un temps record mais avec de nombreuses recommandations des avionneurs portant essentiellement sur le moteur jugé trop gourmand et manquant de poussée. Au fil des mois cette coopération va sombrer chaque jour un peu plus : rivalité entre Bristol et Rolls Royce – ils vont pourtant fusionner quelques mois plus tard – bataille pour la maitrise d’oeuvre aussi bien du moteur que de la cellule, mais surtout impossibilité technique à satisfaire les quatre futurs opérateurs : la RAF, l’armée de l’Air, la Royal Navy et l’Aéronautique navale. Même pour l’avion embarqué, l’étroitesse des ascenseurs des porte-avions britanniques conduit à prévoir des repliages du nez des avions. Les besoins sont aussi différents : les uns veulent un intercepteur, les autres un avion de pénétration à basse altitude…ou les deux à la fois. C’est la France qui rompra la première, en juin 1967. Les Britanniques rallieront à leurs vues Allemands et Italiens autour du concept MRCA – Multi Role Combat Aircraft – d’où émergera le Tornado, avion de pénétration à basse altitude, biréacteur, bien moins ambitieux que le GVFB.
Le Mirage G
La France n’est pas en reste puisque en octobre 1965 l’avion expérimental Mirage G est commandé à Dassault. Aucun système d’armes n’est demandé bien que des profils de missions soient inclus dans les clauses techniques.
Si le constructeur ne prend guère de risque en adaptant le fuselage du Mirage IIIF2 01 (ils ont le même moteur), en revanche tout est à inventer au niveau des ailes, du pivot et de son positionnement. Il faut trouver un compromis entre le maximum d’efficacité à retirer de la formule, l’importante variation de la flèche et la variation minimum du centre de portance qui change avec la flèche et le Mach. L’intérêt de la formule est d’avoir le maximum de l’aile qui « bouge », donc un pivot au plus près du plan médian du fuselage, surtout pour les vols en haut subsonique et à basse altitude, mais corrélativement c’est dans ce cas où le foyer varie le plus les vols supersoniques l’intérêt serait d’écarter les pivots. En revanche si on devait privilégier La première solution fut retenue.
Les photos qui accompagnent ce texte montrent avec quelle économie de moyens le dégrossissage concernant l’optimisation de la position des pivots des ailes fut menée : des planches en bois ou métalliques « bidimensionnelles » furent construites et « soufflées » dans une grande partie du domaine de vol. Par la suite des maquettes traditionnelles à différentes échelles permirent de figer rapidement les formes définitives et l’hypersustentation : becs, volets à double fente et recul sur toute l’envergure de la voilure ( il a fallut un total de 3500 h de soufflerie à comparer aux 18000 h consommées pour le F-111 ). Les spoilers et l’empennage horizontal (ou taileron) assurent le contrôle en roulis avec un variateur automatique d’efficacité entre ces deux gouvernes en fonction du domaine de vol.
Quant aux pivots, ils furent réalisés en Maraging, un alliage haute résistance;
(175 hbar) nickel-cobaltmolybdène alors peu utilisé en France ; pour minimiser les frottements, les parties mobiles s’appuyaient sur des surfaces microflonées et des roulements sphériques Fabroïd. Un vérin à vis de 75 t, animé par deux motoréducteurs hydrauliques, permet une rotation symétrique des ailes. La voilure contenait 2 x 450 l de carburant transféré grâce à des tuyaux télescopiques. Tout comme le F2, la construction de la structure est réalisée en structure intégrale. Les commandes de vol sont hydroélectriques, vérins doubles en tandem et troisième chaine passive de comparaison.
Principales caractéristiques du Mirage G
Longueur hors perche : 16,80 m
Envergure variable de 7,04 m à 13 m
Flèche au bord d’attaque variable de 70 à 20°
Hauteur en charge : 5,35 m
Masse à vide équipé : 9.985 kg dont 500 kg d’installation d’essais et de lest
Masse maximum autorisée : 18.000 kg
Carburant interne (mesuré) : 6.080 l
Vitesse maximum au niveau du sol : M1,2/800 nd (1480 km/h)
Vitesse maximum en altitude : M2,2
Montée à 15000m : M2,2 en 6 mn 20 s à la masse de 14.600 kg au décollage
Plafond : 17.000 m à la masse de 12.500 kg
Distance franchissable, plein interne : 1.200 km à
150 m d’altitude et M0,9
Emports : 1.300 kg sous fuselage et 2 réservoirs
largables de 1300 l sous voilure (figée à 20°)
Motorisation : 1 réacteur TF-306C de 5.215 kgp
sec et 9.150 kgp avec pc, au banc.
Après un saut de puce à Villaroche le 10 octobre 1967, Jean Coureau effectue le premier vol à Istres le 18 novembre suivant, voilure bloquée à 20°. A la fin de l’année l’avion avait atteint M2,1 et 705 nd (1300 km/h) avec une flèche de 70° et manoeuvré la voilure sous un facteur de charge de 2,5 g. L’essentiel des problèmes rencontrés tenait au comportement en lacet à basse vitesse et pour des incidences dépassant 13°. Différents remèdes sont essayés : modification de la dérive, quilles anti roulis. Ces problèmes seront peu à peu résolus mais le souci principal vient du moteur, certes de faible consommation spécifique à sec et délivrant une bonne poussée mais très susceptible au pompage et au décrochage en incidence, avec un domaine restreint d’allumage de la post combustion, inconcevable pour un avion de combat. Un TF-306E monté au début de 1969 améliore grandement les choses. On notera que l’avion s’est posé, à titre d’essai, à 200 nd (370 km/h) avec une voilure calée à 70° alors que sa vitesse normale d’approche est de 125 nd (230 km/h) et un touché des roues à 108 nd (200 km/h) pour une voilure à 20°.
Deux missions de l’U.S. Navy et une de l’USAF sont venues évaluer l’avion, ne tarissant pas d’éloges sur ses qualités et donnant quelques conseils pour en faire un avion d’armes (par ex flèche automatique en fonction du domaine de vol). Un espoir de voir l’avion construit aux USA est entretenu par des officiels de la Navy car le besoin d’un avion moins sophistiqué que le F-14 leur était évident (ce sera le F-18). Ce furent les Français qui n’y crurent pas et s’abstinrent de pousser plus loin !
L’avion servit de banc d’essais à différentes solutions envisagées tant pour le G4 que pour le F1, jusqu’à sa destruction à son 317e vol, le 13 janvier 1971, sur panne électrique totale (les 2 circuits principaux et le secours batterie). Jean Coureau doit s’éjecter alors que l’avion est très bas et vole à 325 nd (600 km/h), mais surtout il a alors une vitesse de roulis de 300°/s ! Il tire alors qu’il a la tête en bas et a la chance de s’éjecter latéralement l’avion étant alors vers 250 à 300 m, s’enfonçant à 80 m/s ! Ce sera sa troisième éjection et il ne sera que légèrement blessé.
Avec un avion aussi réussi, le bureau d’études de Dassault ne peut qu’étudier de nombreux dérivés : ceux-ci iront du Go (o pour Australie ! ) au G8, monomoteurs ou bimoteurs, avec tout ce qu’on peut imaginer comme moteurs, à l’époque : certes le TF-306, mais aussi les J-79, M53, Atar 9K50, Spey, RT172… Ainsi sont proposés un G1 pour se substituer au F1, un G2 version opérationnelle du G proposé aux Européens, un G3 qui est un G au fuselage agrandi, pour l’armée de l’Air et l’Aéronautique navale, un G5 pour aider LTV à préparer le concours du futur F-14, un G6 compromis d’un G4 allégé…
Du Mirage G4 au G8
Bien entendu le succès de la formule conduit les autorités françaises à envisager le nouveau programme RAGEL (Reconnaissance Attaque et Guerre Electronique Lointaine) avec ce type de voilure. Ce programme s’inscrit dans la continuité des précédents programmes de pénétration nucléaire. En 1967 une certaine confusion règne quant aux besoins en avions d’armes tant pour l’armée de l’Air que pour la Marine. Coup sur coup l’armée de l’Air doit commander le Jaguar et le F1. Elle doit aussi choisir entre quantité et qualité. A cela s’ajoute le besoin de lancer un moteur
de la classe Mach 2,5/Mach 3 disponible vers 1977 ( en fait le futur M53).
Pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que la France ne possède pas «librement » d’un moteur de la classe des 10 t comme le TF-306, la demande portera sur un bimoteur équipé, tout naturellement, de l’Atar 9K50 qui va être mis en production pour le Mirage F1.
Le Rolls Royce Spey 25R est aussi envisagé, car la fabrication du TF-306 est officiellement abandonnée fin 67. La Marine garde cependant une préférence pour le TF-30, quitte à l’acheter aux USA : le G3 a sa préférence plutôt qu’un F1.
Le programme RAGEL montre assez vite que les deux armées ne pourront avoir un avion commun. Alors que toutes les solutions ont été envisagées – même un Mirage IV avec des 9K50 – l’état-major de l’armée de l’Air émet une fiche programme en octobre 1968 qui conduit à la commande en…septembre des Mirage G4 001 et 002 équipés de 2 Atar 9K50, interchangeables avec le futur M53. C’est un avion de 15,6 t de masse à vide, de 25,3t en lisse et de 32,9 t en charge maximum. Son système d’armes comprend un radar de suivi de terrain, un doppler de navigation couplé à une centrale à inertie, un SLAR à antennes latérales incorporées au fuselage et pour la reconnaissance, un conteneur avec diverses caméras argentiques et infrarouges. Avec une arme nucléaire AN22 du Mirage IVA (l’arme AN52 n’est pas encore disponible) les performances avec des Atar 9K50 versus M53 sont en lisse : 640/750 km de rayon d’action à basse altitude et à M0,9 et, avec bidons largables, de 1040/1170 km. L’accent est surtout mis sur les vitesses d’approche de 125 nd contre 180 nd pour un delta comme le Mirage IVA. Nous passerons sur les hésitations sur la taille et le moteur de cet avion déjà commandé… Mais les « événements de 68 » ont changé la donne économique et les évaluations pour une série de 150 appareils montrent que l’avion est incompatible avec le budget de la Défense (n’oublions pas que si la série du Mirage IVA tire à sa fin, la France doit développer les vecteurs et les armes devant équiper les sous-marins nucléaires et le plateau d’Albion). Au début de 1970, le ministre de la Défense, Michel Debré, demande aux intéressés de revoir à la baisse leurs prétentions et de prendre en considération les possibilités d’exportation du F1 et du G4. Il n’est pas envisageable de résilier le 001 et le 002 est très avancé au point que l’accord se fait pour en poursuivre la réalisation. Mais peu à peu le programme évolue vers un avion à voilure fixe, pour un programme rebaptisé ACF (Avion de Combat Futur), le Mirage G8A. En effet le surcout d’une cellule d’avion à géométrie variable est estimé à 15 à 20% par rapport à un avion à voilure fixe ; mais la cellule entre pour moins de 50% dans le prix total d’un avion, ce n’est donc au total qu’une économie de 7 à 10% qu’on peut attendre de cette décision. En mai 1971 le marché est amendé : le premier prototype reste un biplace, bi Atar renommé G8 01, sans SNA, alors que le deuxième prototype devient le monoplace G8 02, devant servir de banc d’essais au futur G8A capable d’un système d’armes bâti autour du Cyrano IV du F1 et avec des équipements de F1 et de Jaguar. On s’achemine vers une version de défense aérienne monoplace et une version de pénétration basse altitude biplace, mais la taille de l’avion n’est pas remise en question.
La construction de l’avion est très semblable à celle décrite pour le G et le ralentissement des travaux a laissé le temps d’optimiser certaines solutions. Après tous ces avatars et un enthousiasme des équipes refroidi (pensez au F2…) le G8 01 effectue son premier vol à Istres le 8 mai 1971 aux mains de Jean-Marie Saget. L’avion se montre très brillant, en tous points supérieurs au G ; il persiste néanmoins un problème de stabilité longitudinale à basse vitesse et aux grandes incidences. Des modifications des volets et des becs amènent l’avion à des incidences de 21° sans problème, alors que la portance est maximum pour 17°. Ainsi on arrive à des vitesses d’approche de 122 nd (225 km/h) et les roues touchent à 112 nd (210 km/h) à la masse de 15,8 t. L’avion se consacre alors, aux mains des équipages du CEAM, du CEV et du constructeur, à des recherches d’optimisation de la flèche dans tout le domaine de vol. Il sera arrêté le 18 juin 1973 après 210 vols et 221 heures d’essais. Démonté, il est d’abord stocké à Istres puis à Châteaudun avant de rejoindre les réserves du Musée à Dugny où, heureusement, il ne végétera pas trop avant d’être exposé.
Le G8 02 effectue son premier vol le 13 juillet 1972, toujours aux mains de
Jean-Marie Saget. Il se distingue du 01 par sa cabine monoplace ; en fait le deuxième poste est recouvert d’une tôle et abrite une partie de l’installation d’essais. Le nez devant recevoir un radar Cyrano dans la version G8A, est muni d’une pointe de F1. La dérive est précédée d’une importante arête dorsale. Autre différence, les souris ( cônes se déplaçant en fonction du Mach de façon à maintenir en dehors de la manche à air l’onde de choc en régime supersonique) : le 01 a des souris biconiques, les pentes des deux parties étant fixe, de 15 et 25° ; pour le 02 la souris présente toujours une première pente de 15° mais la seconde varie sous l’effet d’un vérin électrique de 25 à 30° selon le Mach, sa structure étant une « jupe » plissée. L’avion est prévu pour atteindre M2,5 (en utilisant alors, pratiquement tout le potentiel de ses moteurs). Lui aussi se révèle sans problème et sert essentiellement à étudier le comportement de l’avion avec une flèche figée à 55°.
Il reçoit également une perche de ravitaillement en vol pour évaluer le futur G8A dans cette configuration. Il emporte aussi deux engins AS37 sous voilure, pivotant pour rester dans le lit du vent lorsque la flèche varie…sans intérêt puisque la géométrie variable est abandonnée !
A la fin de sa carrière le 02 effectue un vol record qui semble encore tenir pour un avion développé en Europe occidentale : le 13 juillet 1973 Jean-Marie Saget atteint à son bord M2,336 à 41.000 ft (12.400 m), l’avion accélérant encore avec un des deux moteurs sur pc réduite, puis il vole durant 20 mn à M2. La décision étant prise de ne pas monter le système d’armes, le 02 est arrêté en novembre 1973 après 137 vols effectués en 122 heures. Il est alors stocké à Istres, le fuselage avant est découpé pour un simulateur du CEV. Finalement une partie des « morceaux » ayant été conservée, y compris la cabine, l’ensemble se trouve au musée de la Chasse de Montélimar et peut-être aurons-nous la surprise de voir l’avion reconstitué ?
Principales caractéristiques des Mirage G8 01 (& 02)
Longueur, hors perche : 18,90 m (20,20 m)
Envergure variable de 8,65 m à 15,30 m
Flèche au bord d’attaque variable de 70 à 23°
Hauteur en charge : 6,15 m
Masse à vide, équipé : 15.560 kg dont 680 kg d’installation d’essais et de
lest (16.070 kg)
Masse au décollage, lisse : 23.650 kg (24.580 kg)
Masse maximum : 30,5 t
Carburant interne (mesuré) : 10.220 l
Vitesse maximum au niveau du sol : M1,2/800 nd (1.480 km/h)
Vitesse maximum en altitude : M2,5 ( réalisé : M2,336)
G8 01 :distance franchissable avec An22, basse altitude,
lisse à M0,9 :1100 km
G8 02 : montée à 15.000m, M2,2 en 6 mn 50 s ;la masse au décollage
de 23.600 kg ; temps de poursuite 12 mn 30 s.
Plafond : 17.000 m à la masse de 12.500 kg
Distance franchissable plein interne : 1.200 km à 150 m d’altitude et M0,9
Emports : 1.500 kg (AN22 semi-encastrée sous fuselage) pour le 01
ou 2 Matra 530 sous fuselage pour le 02.
Pour les 2 versions : 2 réservoirs largables de 2.000 l aux points latéraux;
2 réservoirs de 2.000 l sous voilure (figée à 23°) ; 2 engins Sidewinder
ou Magic sous apex de voilure.
Motorisation : 2 réacteurs Atar 9K50 de 4.870 kgp sec et 6.970 kgp avec pc, au banc.
Epilogue : le Mirage G8A ou Super Mirage
Les missions attendues du G8A sont de trois ordres :
Pénétration tout temps à basse altitude, attaque nucléaire et reconnaissance
Mission secondaire de supériorité aérienne limitée au tir canon à vue et au tir de missiles courte portée
Moyennant « quelques » modifications du système d’armes, effectuer toutes les missions d’interception
Ceci se traduit par les performances souhaitables suivantes :
Rayon d’action à basse altitude : 1.000 km avec bidons, les 100 derniers kilomètres étant parcourus à 500 nd (930 km/h) après largage des bidons
En supériorité aérienne : M2+ et plafond supérieur à 50.000 ft (15.000 m) avec des marges de manœuvre au moins égales à celles du F1 en supersonique et supérieures en subsonique.
Finalement l’état-major diffuse en juin 1972 sa fiche programme pour un bi M53, monoplace pour la défense aérienne et biplace pour la pénétration à basse altitude, de la classe des 20 t. Sans se prononcer définitivement sur le type de voilure, la préférence se porterait sur une voilure fixe de 55° de flèche au bord d’attaque.
L’objectif est de produire un total de 100 avions des deux types. En décembre 1973 un prototype monoplace, sans système d’armes, est commandé en vue d’un premier vol 32 mois ouvrables plus tard. Nous passerons sur les nombreuses discussions autour de ce programme dont on s’aperçoit enfin, en juillet 1975, qu’il est financièrement hors de portée du pays. L ’exigence de Mach 2,5+ pour l’intercepteur conduit à réaliser pour ce dernier une voilure spéciale en titane,
le système d’armes doit conduire à développer deux types de radar, des engins air-air et de nombreux équipements pour 50 appareils de chaque type…
Dans la lignée de ses prédécesseurs, mais sans même avoir le privilège de faire au moins un premier vol – ce que propose Dassault, à ses frais – la résiliation est notifiée le 23 décembre 1975, alors que la cellule est achevée et que l’aménagement commence.
Des regrets ? Certes, la France aurait disposé d’un avion équivalent au F-15, avec un suivi de terrain que ce dernier n’avait pas. Et du F-15, il en a été question puisqu’une mission française l’évalue en 1976. Finalement en fin d’année 1976 le Mirage 2000 est commandé dans sa version défense aérienne ; six ans plus tard le Mirage 2000N de pénétration nucléaire l’était à son tour. Deux avions bien moins ambitieux en terme de performances mais la situation internationale le permettait, d’autant que l’apparition de l’ASMP5 allégeait considérablement la tâche de l’avion de pénétration. Pour avoir le « tout en un », le Rafale, il aurait fallu attendre fin 1996 si les crédits avaient été aux rendez-vous et 10 ans de plus dans la réalité.
Ces 20 ans d’incertitude n’auront pas été vains ; cela permit de développer le M53, les radars RDM et RDI, le SLAR Rafael et bien d’autres équipements et armements, arrivés à temps pour le Mirage 2000, sans compter les commandes de vol électriques qui ont, elles aussi, permis des avancées majeures dans les performances, surtout celles d’un delta.
Le visiteur avait bien raison de s’étonner devant cet avion modestement blotti dans un coin du hall… mais peut-être pas pour les mêmes raisons que le lecteur de cet courte histoire dont le G8 n’est qu’un – brillant –jalon.
Michel Liébert (AAMA)
Sources: le tome 1 du livre « Le Mirage F1 et les Mirage de seconde génération » par Sébastien Buyck et Michel Liébert, paru aux éditions Lela Presse.
Article extrait du Pégase n°136 de mars 2010.