C’est un des plus petits avions des collections; il est suspendu au plafond de la Grande Galerie. C’est un monoplace sesquiplan (1), avec, de part et d’autre du fuselage une décoration bien romantique, pour un avion de guerre : une rose. Sur l’extrados de l’aile supérieure, rehaussée par un affût en V inversé afin de pouvoir tirer au dessus du plan de l’hélice, une mitrailleuse avec chargeur rond. Il s’agit d’un Nieuport XI original, construit en 1915. Le Nieuport XI est dû à l’ingénieur Delage ; équipé d’un moteur Le Rhône de 80 CV, il est surnommé « Bébé » à cause de ses dimensions. Envergure : 7,50 m ; longueur : 6 m ; hauteur : 2,40 m ; poids au décollage : 480 kg (dont 55 kg de carburant assurant une autonomie de 2 h de vol) ; vitesse : 155 km/h. On l’appelait aussi le « Nieuport 13 m » en référence à sa surface alaire de 13 m²
Les premiers appareils ont été équipés de la mitrailleuse française Hotchkiss qui sera remplacée plus tard par une mitrailleuse anglaise Lewis, calibre 7,7 mm, approvisionnée par un chargeur tambour de 47 cartouches (2). Le pilote assurait la visée avec son avion et commandait le tir par l’intermédiaire d’un câble ; par contre pour changer de chargeur, il devait basculer l’arme vers lui et procéder au changement tout en continuant à piloter avec la main qui restait libre ; manœuvre inconfortable s’il en est.
C’est très tôt que le besoin d’un tel appareil s’est fait sentir. En effet, si en août 1914, le Haut Etat Major ne croyait que modérément au rôle qu’allait devoir jouer l’aviation dans la conduite des opérations, son avis avait changé du tout au tout après la démonstration éclatante de l’importance du renseignement aérien dans le déroulement de la Bataille de la Marne. L’inconvénient venait de ce que l’ennemi avait fait la même analyse et, en cette fin 1914, début 1915, ne se privait pas d’envoyer ses avions au dessus de notre territoire. C’est ainsi que tous les mouvements de troupes amies, leurs cantonnements, les positions des batteries d’artillerie… étaient systématiquement survolés et espionnés par les Taube (3) allemands. Cette situation à rapidement été jugée intolérable et il a été décidé de réagir. Cette réaction ce fut le Nieuport XI ; avion léger, très maniable avec des performances honorables pour l’époque. Son rôle : s’opposer aux intrusions ennemies au-dessus des positions tenues par les troupes alliées.
Ainsi va naître le premier avion conçu pour la CHASSE, car, l’aviation de chasse, malgré son aura d’agressivité, reste avant tout un instrument défensif. Curieusement, se sont les Anglais qui vont commander cet avion les premiers et qui vont le mettre en service sur le front des Dardanelles dés juillet 1915 ;
En France, la tache de créer des unités de chasse est confiée au Commandant de Rose, d’où la décoration bucolique de l’appareil avec une rose de part et d’autre du fuselage. Il va constituer un premier groupe de combat de quatre escadrilles dotées de six Nieuport chacune. Pendant l’automne 1915, de nombreuses autres escadrilles de Nieuport vont être mise sur pied, dont la fameuse N 124, plus connue sous le nom d’Escadrille La Fayette, que vient de rejoindre un certain Raoul Lufbery. Ses exploits vont remplir d’une juste fierté, bien des cœurs américains. Certains pays alliés construiront cet avion sous license, mais la simple production Française atteindra 5.200 exemplaires.
L’heure de gloire des » Bébé Nieuport » va bientôt sonner. Le 21 février 1916, aux environs de quatre heures du matin, dans un secteur relativement calme où l’on envoyait jusque-là les troupes au repos, l’apocalypse se déclenche tout à coup. Nous sommes à Verdun !
Dans le plus grand secret, les Allemands avaient amené à proximité immédiate du front, de nombreuses batteries de canons lourds qui, dès les débuts de l’engagement vont prendre à partie tout ce qui sert à voler dans un rayon de 3à km ; les ballons et leurs treuils, les terrains et leurs avions. Grâce, de surcroît à une concentration massive, dans le secteur de Verdun, des avions frappés de la croix noire, la maîtrise de l’air va être allemande à 100% dés les premiers engagements et le commandement français de trouvera subitement aveugle sur cette partie du front.
On fait alors appel au commandant de Rose et aux unités qu’il a nouvellement créées ; une centaine de Nieuport sont regroupés autour de Verdun et on recrute dans les autres escadrilles des pilotes ayant fait preuve de la plus grande agressivité : Dorme, Chaput, Deulin, Casale, Heurteaux, Madon, Nungesser, Guynemer, un jeunot qui fera bientôt parler de lui et surtout Navarre que la légende baptisera du surnom de » la sentinelle de Verdun »
Certains Nieuport vont être équipés de fusées Le Prieur, ancêtres de nos roquettes modernes, avec lesquelles ils attaqueront les ballons d’observation allemands.
Le commandant de Rose va trouver la mort au cours d’un vol de présentation, le 11 mai 1916, mais, en peu de mois, les unités de chasse qu’il a mises sur pied ont balayé le ciel de Verdun de la présence ennemie. Il faut dire que les Allemands n’ont pas d’avions équivalents aux Nieuport. Ils ont bien le Fokker E1, mais celui-ci est nettement moins maniable ; de plus pour éviter que le système de synchronisation permettant le tir à travers l’hélice, idée française tombée aux mains des Allemands lors de la capture de Roland Garros le 19 avril 1915, et mise alors au point par Fokker, ne revienne dans le camp français, ces appareils avaient interdiction de survoler les lignes françaises (4)
Dans le courant du mois de mars 1916, Nieuport va sortir une version améliorée du célèbre Bébé ; ce sera le Nieuport XVII qui rejoindra le front au mois de mai. Plus grand, plus lourd, plus rapide et mieux armé, il est équipé du moteur « Le Rhône » de 110 CV.
Fortement impressionnés et pour pallier le manque d’appareil approprié, en attendant la sortie du redoutable Albatros D1 qui n’arrivera sur le front qu’en automne, les Allemands, prenant pour modèle un appareil capturé, vont copier du tout au tout le Nieuport français et l’équiperont des moteurs qu’ils fabriquaient déjà sous licence, dans leur usine d’Oberursel. C’est ainsi que pendant quelques temps, on verra des Nieuport à croix noires affronter des Nieuport à cocardes.
Bon ! la visite continue, il y a encore beaucoup de choses à voir dans ce musée.
(2) Plus tard, la mitrailleuse Lewis sera dotée d’un chargeur de 97 cartouches