Visite exclusive de l’AAMA du DC-8 SARIGuE

Le DC-8 SARIGuE au Bourget en 2015

Un jour de mai 2024, des membres de l’AAMA avaient rendez-vous à Dugny pour une visite exclusive et véritablement exceptionnelle : le Douglas DC-8 SARIGuE (Système Aéroporté de Recueil d’Informations de Guerre Electronique) F-RAFE, du Musée de l’Air !

Cet avion allait enfin nous révéler quelques-uns de ses secrets…

Le général Jean-Luc Jarry

On doit cette remarquable opportunité à l’action soutenue de notre vice-président Jean-François Louis qui, par l’intermédiaire de notre Ami le général Alain Rouceau ancien directeur adjoint du Musée, a invité pour animer cette visite le général de brigade aérienne Jean-Luc Jarry.

Celui-ci qui fut commandant de l’escadron mettant en œuvre cet appareil, a bien voulu venir retracer les missions particulières effectuées par les équipages de l’avion, tandis que notre accompagnateur Jacques Julien décrivait l’histoire et la technique des Douglas DC-8 à l’extérieur.

Jacques Julien

Qui plus est, afin de satisfaire le plus de membres possibles, l’opération se fit à deux reprises, le matin et l’après-midi !

Le groupe du matin

Le groupe de l’après-midi

Pour nous mettre en bouche, suivons en premier Jacques Julien au pied de l’objet du jour.  

Notre Ami fut lors de sa carrière agent d’exploitation à UTA et Air Afrique dont le DC-8 était l’appareil de base, effectuant à la main les plans de vols ainsi que les chargements et centrages des avions. A cela s’ajoutait un côté passagers et enregistrement.

Il passa une quinzaine d’années avec cet appareil qui équipait les deux compagnies et en Afrique centrale il travailla particulièrement sur les DC-8 cargo et parfois aussi sur ceux de l’armée de l’Air.


Jacques Julien débute par la partie historique de ces appareils de plus de 60 ans en détaillant les différentes versions, montrant sa maitrise du sujet et l’attachement qu’il a envers cet avion.

Durant la fin des années 50, on assiste à la naissance de l’aviation commerciale à réaction.

En effet le moteur à piston va céder sa place au turboréacteur qui équipera les futurs jets.

Avec le Boeing 707, le DC-8 est l’un des tout premiers avions de ligne à réaction américains et sera un symbole de cette nouvelle ère.

On peut constater que malgré la forte présence à cette époque de Douglas dans le domaine civil, contrairement à Boeing spécialisé dans le marché militaire, l’histoire verra ce dernier triompher dans cette concurrence exacerbée.

Douglas part trop tard dans la course au long-courrier transcontinental. Il ne se décide à lancer véritablement l’étude du DC-8 qu’en 1952 alors que le Boeing 707 est déjà dans les limbes depuis 1949, dans une version certes encore éloignée de sa version finale civile.

Il n’empêche… Le premier vol du DC-8 intervient en mai 1958 alors que le Boeing 707 (ou plutôt son démonstrateur le Dash 80) vole déjà depuis juillet 1954.

Bien que le DC-8 soit un avion techniquement très réussi, plus que le 707 selon certains utilisateurs, il ne s’en vendra jusqu’en 1972 (date de l’arrêt de la production) que 556 exemplaires, soit pratiquement moitié moins que son concurrent de Seattle.

En France, ce sont les compagnies UAT et TAI qui ont d’abord exploité le DC-8 sur les lignes africaines et du Pacifique. En métropole, en seconde main il fut exploité par Minerve, Point Air ou Point Mulhouse en en version cargo chez SFAIR et Jet Air.

L’armée de l’Air va acquérir pour ses besoins sept DC-8. Trois seulement de ces avions seront remotorisés, comme nombre de modèles civils, avec des CFM56, beaucoup moins gourmands en carburant que les réacteurs d’origine. Ce type de moteur ne pouvait être économiquement installé que sur les appareils de la série 60.

Après ce préambule, Jacques Julien fait le tour de l’avion décrivant plusieurs ensembles techniques éveillant la curiosité de nos membres, voire leur étonnement.

Par exemple, des points d’emport pour un cinquième réacteur, pour convoyage évidement.

Le DC-8 possédait des fentes de bord d’attaque, et des volets on ne peut plus impressionnants.

Son train principal était articulé, par des bielles que notre Ami nous montre en détail, en conjugaison avec le train avant, afin d’améliorer le rayon de virage lors des manœuvres au

Inverseur flux froid ouvert

Les moteurs étaient équipés d’un double inverseur de poussée, un pour le flux froid et un autre pour le flux chaud.

Inverseur flux froid fermé. L’inverseur flux chaud est situé à l’arrière

Vous pouvez retrouver cette partie explicative du DC-8 par Jacques Julien, que nous félicitons, sur notre chaîne YouTube.


Entrons maintenant dans le vif du sujet : le SARIGuE !

©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

Dès que la passerelle est passée on découvre ce que peu de personnes ont dû voir.

Les sièges passagers habituels sur la version civile ont laissé place à une rangée de pupitres accueillant une dizaine d’opérateurs. C’est le cœur du système.

Le général Jean-Luc Jarry, rassemblera chaque groupe dans ce qu’on peut appeler la salle de briefing, au centre de l’appareil.

Il exposera avec une grande précision les décisions et la chronologie de cet avion, qui a été classifié, des missions et de l’escadron qui l’a mis en œuvre.

©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

Pour suivre l’évolution des systèmes d’armes, l’état-major des armées émit le besoin d’un avion capable d’effectuer du renseignement électronique.

Ce système doit réunir les composantes du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), aussi appelé SIGINT en anglais pour SIGnals INTelligence, qui comprennent :

  • ELINT (ELectronic INTelligence), qui consiste à écouter pour les caractériser et les localiser les émetteurs de tous types (radars, antennes émettrices…).

On recherche des informations sur une large partie du spectre électromagnétique, afin d’identifier et localiser les systèmes d’armes et leurs modes opératoires. Par ailleurs l’analyse du signal (forme d’onde, fréquence…) permet de préparer des contre-mesures pour des avions d’attaque.

  • COMINT (COMmunications INTelligence), les renseignements sont issus de l’écoute des communications de chaque intervenant, adversaire comme allié (démodulation, décodage, décryptage, traduction).

Ces écoutes permettent de définir les réseaux de commandement et d’identifier les procédures utilisées.

Comme il était indispensable d’avoir également des prises de photos pour valider les résultats des données récoltées, le DC-8 SARIGuE était équipé de trois caméras OMERA 35 identiques à celles du Mirage IV, de technologie argentique mais très performantes, disposées sous l’appareil, complétées par des appareils photo classiques pour des prises de vue à travers des hublots optiques (remplaçant des hublots classiques) sur les flancs.

Le général poursuit en expliquant les arguments du choix de cette plateforme qui devait répondre aux exigences suivantes :

  • opérations au-delà des frontières et dans des zones lointaines,
  • autonomie suffisante pour ne pas avoir recours à des escales,
  • plafond et vitesse élevés pour faciliter les relèvements,
  • discrétion de l’appareil.

Il s’est avéré que le choix du DC-8 s’imposait (152 tonnes au décollage, grande autonomie de 13h, vitesse de Mach 0,8). L’appareil sera passif, n’émettant aucun signal, pour raison de discrétion, en outre il sera toujours noyé dans le trafic de l’aviation commerciale.

Le F-BIUZ aux couleurs d’UTA

L’armée de l’Air acheta donc un exemplaire à UTA en 1973, le F-BIUZ livré en 1961 qui affichait déjà 40 000 heures de vol, un modèle DC-8 33, remotorisé avec des JT3D-3B à double flux. Pris en charge par le CEV, sous l’immatriculation F-ZARK, il fallut trois années pour installer les différents équipements fournis par THOMSON CSF, dans un hangar UTA du Bourget en toute discrétion. L’accès à l’avion relevait alors du Très Secret Défense.

En connaissance de la dangerosité de la mission, les 19 membres de l’équipage pouvaient évacuer l’avion à 11 0000 m en parachute, après avoir évidemment dépressurisé la cabine, grâce à deux portes modifiées pour s’ouvrir en coulissant vers l’intérieur. Des tests ont même été réalisés avec des mannequins pour valider la solution.

L’avion terminé reçu sa nouvelle immatriculation F-RAFE.

L’escadron électronique 51 Aubrac sera créé pour le SARIGuE en avril 1976 et l’appareil entrera en service en juillet de la même année.

Ce sera la base d’Evreux (que l’AAMA a visité fin mars), équipée d’une piste de 3000 m qui sera choisie pour abriter ce vecteur Très Secret Défense, rejoignant d’autres unités sensibles.

Bourré d’électronique, l’avion avait le privilège de posséder son propre hangar chauffé en permanence pour une disponibilité immédiate.

Sa maintenance était primordiale afin qu’il soit opérationnel à tout moment, 24h/24h. En cas de panne, du personnel d’UTA, puis d’Air France Industrie, était rapidement mobilisé pour la remise en état de l’appareil. Avec cette difficulté que seules les personnes habilitées pouvaient accéder dans le fuselage !

L’escadron était sous les ordres directs de l’état-major des armées et pour toutes les missions la préparation était des plus importantes, avec comme premières questions : que cherche-t-on ? à quel endroit ?

Il y avait principalement des suivis périodiques d’objectifs mais selon la nature et les zones de recherche, surtout en COMINT, il fallait s’adjoindre du personnel ayant des compétences linguistiques parfois rarissimes.

Le général Jean-Luc Jarry a narré, avec une touche d’humour, les différentes ruses et astuces pour l’exécution des missions, quelques fois très délicates avec de temps en temps des confrontations visuelles très tendues.

Nous mettrons donc un voile pudique sur ces éléments…

Les renseignements collectés, n’étant pas communiqués en vol pour les raisons de discrétions, n’étaient traités qu’au retour pour vérifier et valider les résultats.

Bien que son emploi soit toujours resté discret, il est de notoriété publique que l’avion fut utilisé durant la guerre du Golfe (1990/1991) et les différents conflits en ex-Yougoslavie (1991 à 1999).

Ces différentes missions ont contribué à l’élaboration de bases de données les plus exhaustives possibles pour la DGSE et la DRM (organisme crée par Pierre Joxe en 1992 à la suite du constat de notre trop grande dépendance en matière de renseignement à l’égard de nos alliés).  

Bien entendu SARIGuE et ses descendants font partie d’un système de collecte de renseignements tous complémentaires les uns des autres (renseignement humain, observation satellite…).

Après environ 20 000 heures de vol au profit de l’armée de l’Air, le F-RAFE arriva pour son dernier voyage au Bourget le 25 juillet 2001, afin d’être remis au Musée de l’Air par le général François Beck, commandant de la Force Aérienne de Projection.

En 1993 est lancé le programme du SARIGuE-NG. Le choix se portera de nouveau sur un DC-8 (version 72F, remotorisé avec des réacteurs CFM56) déjà en dotation à l’escadron de transport 03/60 Estérel, immatriculé F-RAFD.

Il sera équipé de nouveaux systèmes plus modernes et plus efficaces doublant la capacité par rapport à l’avion déposé au Musée.

Il fut pris en compte à l’escadron Aubrac en 2000 pour expérimentation et formation du personnel sur cette nouvelle plateforme et enfin la mise en service opérationnelle arriva en 2002 pour une utilisation prévue jusqu’à environ 2017.

Le SARIGuE-NG à Châteaudun en juillet 2006

Mais le coût de maintenance de la machine avait été sous-estimé et il sera retiré du service en 2004 pour être entreposé à Châteaudun. Cela entraîna la dissolution de l’EE 51 un an plus tard.

Si l’avion fut ferraillé peu de temps après, tous les appareillages électroniques furent réutilisés ailleurs, dont plusieurs dans les Transall GABRIEL, qui n’avaient pas le même potentiel que le DC-8.

Le Musée possède également un exemplaire du GABRIEL que l’AAMA a eu la chance de visiter en octobre 2023.

Ce dernier vecteur n’étant plus utilisé, l’armé de l’Air et de l’Espace est dans l’attente du matériel de la génération suivante, les Dassault Falcon 8X ARCHANGE (Avion de Renseignement à CHArge utile de Nouvelle GEnération) dont la première machine, sur les trois programmées, est prévue en 2025.

Après toutes ces descriptions passionnantes et inédites, notre hôte a accompagné les visiteurs de notre association dans le carré de repos, disposant même de quelques couchettes, puis retour vers la cabine de pilotage en passant devant les postes de recueils d’informations, qui paraissent plutôt datés, ayant plus de 20 ans.

©musée de l’Air et de l’Espace A. Fernandes

Jean-François Louis et Jean-Luc Jarry

Chacun apprécia de s’assoir aux sièges de commandant de bord ou de copilote, pour découvrir ce poste de pilotage d’un DC-8 datant d’une époque bien révolue. Il est identique aux versions civiles hormis un appareil au-dessus de la casquette, enlevé à son arrivée au Bourget, un détecteur d’alerte (le même que celui de certains Mirage F1).


J. Julien, J-F. Louis et J-L. Jarry

Par un heureux concours de circonstances, légèrement organisé, plusieurs membres ayant participé au créneau du matin, dont Jean-François Louis, Jacques Julien et le général Jean-Luc Jarry sont venus déjeuner au Bourget et se sont attablés en compagnie de plusieurs accompagnateurs qui avaient effectué des Parcours Passion.

En visitant cet avion on comprend aisément que la guerre électronique intervient désormais au cœur des fonctions vitales de notre défense, le renseignement étant clef pour toutes les actions défensives ou offensives.

Comme l’avait écrit le général Jean-Paul Siffre, pionnier de la guerre électronique en France, ancien directeur du Musée de l’Air et de l’Espace de 1995 à 2000 :

Maitre des ondes, maitre du monde.

François Rivet avec l’apport de Jean-François Louis, Jacques Julien et Frédéric Buczko (AAMA)

Remerciements à nos membres Philippe Boulay, Christian Leblanc, Jean-François Louis et Charles Vignalou ainsi que le Musée de l’Air pour les photos.

Retour vers les actualités de l’AAMA et du Musée.

Le DC-8 SARIGuE au Bourget en 2015

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