Visite de l’AAMA au BEA

En octobre 2022, le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) situé juste à côté du Musée de l’Air, profita d’un de nos Parcours Passion avec notre accompagnateur Dominique Abadie pour découvrir le Musée de l’Air.

En retour, à l’initiative de notre vice-président Jean-François Louis, un premier groupe d’animateurs a eu le plaisir de découvrir ce lieu réputé secret, en janvier dernier

C’est ainsi que les contacts pris avec eux permettront à Jean-François Louis, qu’il convient une nouvelle fois de remercier, de proposer une visite exclusive du BEA à nos adhérents ce vendredi 28 avril 2023.

Nous sommes au nombre de 31, qui allons nous scinder en deux groupes. Parmi nous, sont présents notre président Jean-Pierre Cornand, ainsi que notre secrétaire général Charles Lokbani.

Nous sommes accueillis très cordialement par Philippe Plantin de Hugues qui débute cette visite par une longue et passionnante présentation du BEA.

Lui-même est conseiller aux affaires internationales et enquêteur au BEA depuis une trentaine d’années.

Le BEA, ou Bureau d’Enquêtes et d’Analyses, a été fondé il y a 70 ans, par un aviateur bien connu, puisqu’il s’agit de Maurice Bellonte, auteur avec Dieudonné Costes de la première traversée sans escale de l’Atlantique Nord de Paris à New-York en 1930.

C’est l’autorité française en charge des enquêtes de sécurité de l’aviation civile, dans le but d’analyser les accidents d’aéronefs ou incidents graves

Le BEA- É ou Bureau Enquêtes Accidents- État ayant pour sa part en charge les accidents ou incidents liés aux aéronefs militaires, de la Sécurité Civile, des Douanes ou des prototypes.

Les enquêtes du BEA ont pour seul objectif d’améliorer la sécurité aérienne, non de déterminer les fautes ou les responsabilités individuelles, qui sont du domaine de la Justice.

L’Annexe 13 de la Convention de Chicago et le Règlement européen n°996/2010, tous deux régulièrement remis à jour, définissent les bases légales des enquêtes de sécurité sur les accidents et incidents aériens. Pour les exercer, le BEA relève du ministère en charge des transports aériens, mais il fonctionne indépendamment de la Direction Générale de l’Aviation Civile.

Le travail des 92 membres du BEA, dont 58 enquêteurs, consiste à analyser toutes les causes d’accidents aériens, avec pour finalité de contribuer à améliorer la sécurité en incitant les constructeurs à opérer des modifications sur les appareils en service.

Dès qu’un accident est signalé au BEA et que celui-ci est sollicité, des enquêteurs doivent se rendre sur site, même si le lieu se trouve à l’autre bout du monde.

Est alors affecté à cette tâche un ED, soit Enquêteur Désigné, qui travaillera bien évidemment en équipe et en collaboration avec les autorités aériennes du pays concerné, en s’appuyant si nécessaire sur d’autres enquêteurs ou sur des experts techniques spécialistes des avions ou des équipements concernés. Il recueillera tous les éléments factuels liés à l’événement, depuis la préparation du vol jusqu’aux transcriptions des radiocommunications et des trajectoires radar.

Le BEA remplit son rôle d’enquêteur, et non de juge. Il constitue un dossier, le plus précis possible sur les causes d’un accident, rapport comprenant également des recommandations à l’attention des constructeurs, des compagnies aériennes et des personnels navigants. Il appartiendra ensuite à la justice d’organiser un procès et de prononcer d’éventuelles condamnations.

Si le BEA travaille en collaboration avec les compagnies aériennes et les constructeurs, il s’en démarque aussi afin de ne pas subir d’éventuelles pressions. Ce qui fut le cas pour l’enquête sur le vol AF447 Rio – Paris, où Air France et Airbus ont été tenus temporairement à l’écart de l’enquête.

En raison du haut niveau de sécurité atteint par le transport public dans les pays occidentaux, un accident résulte nécessairement d’un enchaînement de plusieurs causes toutes très peu probables. Tous les facteurs possibles doivent donc être passés en revue, ce qui nécessite un travail considérable de recherche d’informations chez tous les acteurs concernés.

En moyenne, le BEA publie son rapport définitif un an et demi après l’événement. Mais cette durée est susceptible de varier en fonction du degré d’informations obtenu et de la complexité de certains dossiers.

Suivant Philippe Plantin de Hugues, nous allons ensuite quitter la salle de réunion, pour passer par un dédale de couloirs et de pièces ayant chacune leur spécificité.

Nous nous arrêtons d’abord longuement devant une vitrine contenant divers enregistreurs de vols, des plus anciens, à bandes magnétiques, aux plus récents possédant des cartes mémoire.

Si les premiers enregistreurs de vol ont été conçus dès 1930 en France pour les essais des prototypes d’avion, puis fabriqués par la société française SFIM après la guerre, la plupart des enregistreurs de vol actuels sont de fabrication américaine.

Communément appelés boîtes noires, ils sont en réalité de couleur orange, afin d’être plus aisément repérables.

Les petits appareils de l’aviation légère n’en possèdent pas, ce qui rend parfois les enquêtes plus complexes dans le cas d’un accident qui reste inexpliqué.

Deux enregistreurs sont installés à bord des avions commerciaux, un CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistre tous les bruits et les conversations à l’intérieur du poste de pilotage ainsi que les échanges entre les pilotes et avec les contrôleurs, et un FDR (Flight Data Recorder) qui peut enregistrer des milliers de paramètres techniques (vitesse, altitude, régime des moteurs, engagement et désengagement d’automatisme, position des gouvernes, des commandes de vol…).

Ces équipements sont conçus de manière à résister à des chocs extrêmes sans se désagréger. Bien sûr les possibilités d’enregistrement et de résistance de ces appareils n’ont cessé de croître au fil du temps, ils peuvent actuellement supporter un choc avec une accélération de 3400g, une température de plus de 1100°C durant une heure et séjourner dans l’océan jusqu’à une profondeur de 6000m durant un mois.

Jusqu’à maintenant les CVR n’enregistraient que les deux dernières heures de vol ce qui pouvait s’avérer insuffisant, mais les nouveaux modèles vont permettre à présent de conserver une durée de 25 heures d’enregistrement.

Couplées à ces boîtes, sont utilisées des balises qui émettront des signaux permettant de repérer plus facilement une épave. La durée de vie et la puissance de ces balises ne cessent d’augmenter.

Progressivement, les avions vont se voir équipés d’enregistreurs éjectables, qui permettront de les retrouver plus rapidement aux abords d’une épave, sans avoir à fouiller longuement dans les décombres. Dans l’avenir, des paramètres pourront être directement transmis au sol par satellite.

Une fois ces boîtes noires retrouvées, elles sont amenées au BEA, où après leur minutieuse ouverture, un lent et complexe travail d’analyse est effectué par les enquêteurs.

Dans le cas d’un enregistrement magnétique, le BEA a développé des moyens de lecture permettant de faire face à une éventuelle dégradation de la bande magnétique.

Dans le cas de mémoires électroniques, la carte mémoire est extraite du boîtier et subit un certain nombre d’opérations pour vérifier l’intégrité des données enregistrées. Puis la carte mémoire est connectée à un châssis d’enregistreur de même type, dont les fonctions d’écriture ont été inhibées pour l’utiliser comme lecteur.

Dans le cas d’un incident, les enregistreurs n’étant pas endommagés, ceux-ci peuvent être lus directement en connectant l’enregistreur à un outil adapté. Les outils de lecture sont en général acquis par le BEA auprès du constructeur de l’enregistreur.

Le BEA travaille aussi sur tout ou partie de l’épave qui sera stockée dans le hangar attenant. Les enquêteurs travaillent avec tout un matériel électronique et informatique, et aussi acoustique afin de détecter tout bruit paraissant suspect. De puissants microscopes sont également utilisés.

Dans le cadre de l’aviation générale, l’enquête ne dispose en général que de peu d’indices qui ne permettent pas, à eux seuls, de déterminer le scénario de l’accident. Les éléments d’épave prélevés sur le site de l’accident sont acheminés en laboratoire afin d’y être examinés : pièces ou fragments de pièces de structure, ensembles mécaniques, équipements, instruments de bord, ampoules d’alarmes, fluides, débris, dépôts…

Les examens pratiqués ont pour objectif de déterminer les causes de défaillance des différents éléments et leur éventuelle implication dans l’accident : origine ou conséquence ?

Ils peuvent aussi permettre d’enrichir certaines informations sur la configuration de l’appareil au moment de l’accident.

Dans le cas de défaillances humaines, le BEA fait aussi appel à des médecins et psychologues qui étudient minutieusement le comportement de chaque membre d’équipage, ses forces, ses faiblesses et qui essaient de comprendre pour quelles raisons telle ou telle décision n’a pas été prise lorsqu’un grave problème s’est présenté.

Nous pénétrons ensuite dans la salle d’écoute dans laquelle les enquêteurs peuvent s’isoler pour analyser dans les moindres détails les conversations dans un cockpit.

Un simple mot peut parfois revêtir une importance capitale !

Les données du CVR permettent aux enquêteurs d’effectuer des analyses spectrales permettant d’identifier des alarmes ou des bruits présents dans le cockpit aussi ténus que la manœuvre d’un commutateur manuel.

Philippe Plantin de Hugues évoque alors le film Boîte noire de Yann Gozlan dont plusieurs scènes ont réellement été tournées dans les locaux du BEA.

Nous sont présentées sur une table diverses cartes mémoire dont la taille va en s’amenuisant. Le souci est que plus la taille de la carte diminue, plus la lecture en sera complexe.

De plus, le BEA doit être capable d’analyser le contenu de cartes de nombreux types d’appareils différents et de ne pas s’en tenir aux données brutes obtenues, mais aussi de les adapter et les corriger.

Le BEA travaille principalement sur des accidents ou incidents d’appareils de l’aviation commerciale, mais expertise aussi les sinistres de l’aviation légère, d’hélicoptères (autres que les militaires) et même les accidents d’ULM, ce qu’il n’est pas obligé de faire, mais dont il se charge également sauf lorsque la cause en est évidente, exemple emport insuffisant de carburant.

Un rapport établi par le BEA est définitif et transmis à la justice, mais le dossier peut naturellement être rouvert dans le cas par exemple où une épave est retrouvée que plusieurs années après l’accident, ce qui fut le cas du vol Rio – Paris.

Notre hôte évoquera quelques expériences personnelles qu’il a vécues, notamment lorsqu’il se retrouva sur le lieu du crash du Concorde à Gonesse, le 25 juillet 2000, quelques heures après l’accident.

Il a travaillé équipé d’une combinaison ignifugée, alors que l’hôtel, sur lequel s’était écrasé le supersonique, était encore en feu, et il lui a fallu parmi les décombres retrouver les boîtes noires. Ce qu’il est parvenu à faire rapidement.

En compagnie d’un officier de police judiciaire de la gendarmerie des transports aériens, ils ont passé le reste de la nuit, à quelques kilomètres de là, au BEA, à commencer l’analyse de l’enregistreur phonique…

Nous allons terminer cette visite par le fameux hangar à damier rouge et blanc, dans lequel sont stockées les épaves en cours d’études et qui nous sont interdites de photographier. Un grand nettoyage a été effectué voici peu, de ce fait le hangar est relativement vide, à l’exception de pièces diverses stockées sur les côtés, et d’une épave totalement disloquée d’un hélicoptère s’étant écrasé voici peu de temps.

Les épaves sont conservées même une fois le rapport terminé, mais ne peuvent être définitivement ferraillées que lorsque la justice donne son feu vert.

Impressionnante et très intéressante visite, donc !

Elle permet de prendre conscience de l’importance et des grandes difficultés de l’analyse des catastrophes aériennes et des très grandes compétences exigées des enquêteurs, qui ne peuvent être acquises qu’après plusieurs années d’expérience.

C’est ce qui explique le haut niveau de leur recrutement et de leur formation, ainsi que la durée en générale pluriannuelle de leur affectation au BEA, mais aussi et avant tout la passion pour leur métier dont nous ont fait preuve ceux que nous avons eu la chance de rencontrer lors de notre visite.

Un grand merci est à adresser au BEA qui nous a permis cette exceptionnelle visite, à Philippe Plantin de Hugues pour son accueil, toutes les précisions qu’il nous a apportées ainsi que sa disponibilité pour répondre à nos nombreuses questions.

Eric Le Faucheur et Dominique Abadie (AAMA)

Remerciement à Frédéric Boderlique et Jean-François Louis pour les photos.

Retour vers les actualités de l’AAMA et du Musée.

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