LE MIRAGE III V 01

2014 Le MirageIII V01 Pegase 142

Le Mirage III V 01 dans le hall des Prototypes (M. Liébert)

Le Hall des Prototypes réserve bien des surprises : les avions Leduc aux formes futuristes, le Trident plus proche d’une fusée que d’un avion conventionnel ou encore le Triton aux allures de voiture Grégoire. Après vous avoir parlé du Mirage G8 aux brillantes performances mais hélas sans lendemain, je me propose d’évoquer aujourd’hui le Mirage III V 01 seul survivant des quatre avions français à décollage vertical (si on ajoute le SNECMA Coléoptère aux trois prototypes Dassault dont il est question ici).

Cet article vous est présenté en deux parties : la première montre l’évolution des programmes d’avions ADAV, ou STOL en anglais, et la seconde traitera des Mirage à décollage et atterrissage verticaux.
Les raisons d’un programme.
Au plus fort de la guerre froide, la crainte principale des états-majors de l’OTAN est de voir, dès les premiers jours d’un conflit, les longues pistes en béton rendues inutilisables par l’adversaire qui, de plus, possède un avantage numérique important.

Une première démarche consiste à disperser les avions en les rendant capables de décoller et d’atterrir depuis des surfaces semi-préparées; le premier concours de l’OTAN de 1957 d’avions légers d’attaque répond à ce besoin. Les machines proposées sont trop légères et n’ont que de modestes performances; c’est un échec, seulement deux pays adoptent le FIAT G91. Une deuxième génération, n’offrant pas de progrès sensible, est abandonnée en 1958. On notera qu’à la même époque, les premiers Mirage IIIA ont démontré occasionnellement leur capacité à évoluer sur de l’herbe, des pistes empierrées ou des surfaces en PSP.

Les Etats-Unis proposent d’utiliser des rampes mobiles pour lancer des F-84, F-100 voire des F-104; mais c’est une solution lourde et qui ne résout pas le problème de l’atterrissage.

Il faut donc trouver une formule plus radicale. Outre-Atlantique, les Américains développent des avions dits « tail-sitter » (Convair Pogo, Ryan X-13…). Même s’ils peuvent décoller et atterrir verticalement, ces appareils ne sont que des prototypes qui n’ont aucune possibilité d’être adaptés pour des missions opérationnelles.

 

2014 Le MD610, projet avec un réacteur Pegase 142

Le MD610, projet avec un réacteur équipé de 4 buses selon le principe Wibault. On notera le train monotrace et les 2 balancines extérieures ainsi que l’arme nucléaire semi encastrée sous le fuselage (Dassault Aviation).

Les études préliminaires.

En France, dès 1954, la DTIA lance une série d’études d’avant-projets d’avions à décollage vertical chez la plupart des constructeurs. Ceux-ci ne proposent que des avions d’appui-sol légers et une conclusion quasi unanime concernant la propulsion: il n’y a pas de réacteurs suffisamment puissants et adaptés pour autoriser un véritable décollage vertical. Ainsi la faisabilité de l’ADAV dépend des motoristes. L’ingénieur Wibault, dont les travaux ont fait l’objet de nombreuses parutions, propose d’assurer avec un seul moteur la sustentation et la propulsion grâce à quatre tuyères pivotantes, une paire sur le flux froid et une paire sus le flux chaud.

2014 MD630 fait appel à deux réacteurs verticaux Pegase 142

Le MD630 fait appel à deux réacteurs verticaux et deux réacteurs conventionnels avec chacun une seule buse sur le flux principal (Dassault Aviation).

Les constructeurs, et particulièrement Bréguet dont Wibault a été l’associé durant de nombreuses années, établissent une série d’avant-projets capables d’utiliser un tel moteur qui reste à réaliser. Le peu d’enthousiasme des services officiels français pousse Wibault à se tourner vers le constructeur britannique Bristol qui lui accorde toute l’attention que mérite son brevet. Cette association conduit au moteur Pegasus qui équipera le Harrier.

Face à son rival Bristol, Rolls Royce associé à Short Harland propose des réacteurs verticaux à fort rapport poussée/poids, optimisés pour la seule sustentation verticale, un réacteur traditionnel assurant la propulsion conventionnelle, la stabilisation sur les 3 axes se faisant par prélèvement d’air sur les réacteurs verticaux via des buses modulables et des tuyères (le temps de réponse des moteurs ne permettait pas un pilotage différentiel des poussées).

2014 Le Rolls Royce (Flying Bedstead) Pegase 142

Le Rolls Royce “ Flying Bedstead ”.

Un banc d’essais volant, baptisé “Flying Bedstead”, équipé de deux Rolls Royce Nene muni d’une tuyère verticale unique, vole et démontre la bonne stabilisation de la plate-forme. Il y a plusieurs avantages à cette formule:

-Sécurité, car la panne d’un moteur peut être contrée,
-Chaque moteur est optimisé pour sa mission: les réacteurs verticaux sont très simples, peu onéreux alors que l’on peut installer un moteur traditionnel avec post-combustion, et donc envisager des vols nettement supersoniques.En revanche le défaut de la formule est de promener plusieurs centaines de kilos en mission, avec un fuselage impropre à certains emports, condamné par les tuyères des réacteurs verticaux.

Au delà du RB108 de première génération, dont le rapport poussée/poids est de l’ordre de 8, Rolls Royce promet pour 1964 un moteur d’un rapport supérieur à 20, et c’est sur la base de cette promesse que les Mirage IIIV sont étudiés.

 

2014 Le Short SC1 banc d’essais volant Pegase 142

Le Short SC1 banc d’essais volant des réacteurs verticaux Rolls Royce (MAE/Short).

Le démonstrateur Short SC1 prouve la viabilité de la formule et tout ceci convainc la DTIA (comme Dassault) que c’est la formule à exploiter.
Notons la solution retenue, dès 1956, par la SNECMA qui consiste en un réacteur ATAR maintenu en position verticale. Deux bancs d’essais volants sont réalisés, dont le P2 est exposé dans le hall des prototypes. La stabilisation de l’engin est assurée par des buses latérales alimentées par de l’air prélevé au niveau du compresseur. Equipant le Coléoptère, tail-sitter équipé d’une aile circulaire, cette solution n’a pas pu démontrer la transition du vol vertical au vol horizontal et inversement avant la destruction de l’appareil au cours de son troisième vol libre.
En 1959, de nombreux états-majors commencent à définir les besoins d’un avion ADAV.
Le programme national.

La DTIA demande en septembre 1959, aux cinq principaux industriels français, des propositions pour un avion d’attaque à décollage et atterrissages courts.
Dassault étudie plusieurs projets avec des réacteurs de sustentation et un réacteur de propulsion, dont un, très proche en forme et taille d’un Mirage III, et sollicite la DTIA pour un choix entre les formules proposées (ADAC ou ADAV), avec la demande de marché d’études pour la réalisation de trois prototypes.

2014 Le Hawker P1127, prototype des futurs Pegase 142

Le Hawker P1127, prototype des futurs Harrier(Hawker).

Le CEMAA, dans une note du 22 février 1960 adressée à la DTIA, fait connaître ses préférences quant aux premiers dossiers reçus des constructeurs: il faut encourager la coopération entre Nord Aviation et Hawker autour d’un projet dérivé du P1127 (prototype du Harrier) tout en se gardant de suivre les demandes de la RAF (l’avion britannique est un avion léger d’attaque au sol pour un conflit limité, loin des exigences françaises).
Par ailleurs il faut approfondir les deux propositions de Sud Aviation: l’une concerne un avion de la classe des sept tonnes, à voilure delta de 76°30’ de flèche au bord d’attaque, de 25m² de surface alaire et de 5m d’envergure, équipé de 6 six réacteurs Rolls-Royce RB162 verticaux et d’un RB165 de 4100kgp; le rayon d’action est estimé à 250km à 150m d’altitude et M0,9 avec 600kg de charges offensives. L’autre est un avion dit à trompes Bertin, mono réacteur, sur lequel nous n’avons pas de détails. Le dernier point souligne la nécessité de lancer sans plus attendre le développement avec Pratt & Whitney du réacteur JTF10 que l’armée de l’Air se refuse à rattacher au programme ADAV. Ces conclusions ne sont suivies que pour le lancement du moteur, la DTIA se réservant la politique industrielle et souhaitant que l’armée de l’Air exprime clairement son besoin.
Le DMA (Délégué ministériel à l’armement, aujourd’hui DGA, Délégué général à l’armement) l’IG Blancard, répond par une note du 24 juin 1960 au ministre des Armées et au CEMAA. Il y souligne que le projet de fiche programme conduit à un avion lourd et ambitieux, et qu’en conséquence l’armée de l’Air doit se préparer à réduire ses exigences en fonction des difficultés techniques qui risquent d’apparaître. Il confirme le choix d’une solution à réacteurs verticaux.
Quant au réacteur conventionnel, le choix se situe entre le RR RB168 et le P & W JTF10 avec pc; le premier se montrant supérieur en régime subsonique et le second meilleur en supersonique, sans que l’un l’emporte nettement sur l’autre.

Michel Liébert (AAMA)

Article extrait du Pégase n°142 de septembre 2011 (1ère partie).

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