LE POTEZ 53

2014 Potez 53 du musée

Le Potez 53 du musée (J-P Reynaud)

Voila encore un tout petit avion qui, en son temps, a beaucoup fait parler de lui. Vous-même, êtes-vous bien sûr de l’avoir remarqué, lorsque vous traversez le Hall E et que, fasciné par le «Point d’Interrogation», vous n’apportez qu’une attention distraite aux petits avions qui vous entourent ? Pourtant, il est bien là, tout bleu, tout petit, dressé sur son train d’atterrissage comme un coq sur ses ergots. Il s’agit du Potez 53. Cet appareil, piloté par Georges Détré, pilote d’essais de la firme Potez, est celui-là même qui a remporté, en 1933, la coupe «Deutsch de la Meurthe».

2014 Henry Deutsch de la Meurthe

Henry Deutsch de la Meurthe (inv.2002/2/269)

Né en 1846 à Paris, Henry Deutsch de la Meurthe était un industriel dans le domaine des hydrocarbures. Passionné d’aviation, il est un des membres fondateurs, en 1898, de l’Aéro-Club de France. Il en deviendra le président.

En avril 1900, il crée un prix de 100 000 francs (or) pour celui qui, avant octobre 1904, sera le premier capable de faire le trajet aller-retour entre Saint-Cloud et la Tour Eiffel en moins de 30 minutes. Ce prix sera remporté par Santos-Dumont, à bord de son dirigeable n°6, en septembre 1901, avec une polémique quant à la durée du vol qui serait de 29 minutes pour les uns et de 32 pour les autres.

C’est en 1904 qu’il propose, avec son ami Ernest Archdeacon, un prix de 50 000 francs or pour l’aviateur ayant réussi le premier, un kilomètre en circuit fermé, avec retour à son point de départ ; on peut dire par là qu’ils sont un peu à l’origine de l’exploit d’Henry Farman, longuement commenté dans le Pégase n°126 de mars 2008.

Avec les progrès de l’aviation, de nombreuses compétitions, et en particulier des courses de vitesse, sont organisées sous l’égide de l’Aéro-Club de France et de son président. Interrompues par la guerre, elles reprennent dès 1919. La dernière en date voit la victoire de Sadi-Lecointe dans une épreuve de deux fois 200 km courue les 2 septembre 1919 et 24 janvier 1920, à bord d’un Nieuport 29 équipé d’un moteur Hispano-Suiza de 300 cv, à la moyenne de 266,11 km/h.

Le 24 novembre 1919, à l’age de 73 ans, Henry Deutsch de la Meurthe s’éteint à Ecquevilly, dans la Seine-et-Oise (aujourd’hui département des Yvelines).

 

2014 Suzanne Deutsch de la Meurthe

Suzanne Deutsch de la Meurthe (inv.2002/2274)

 

Sa fille Suzanne (1892–1937), en partenariat avec l’Aéro-Club de France qui tient à rendre hommage à son président disparu, met sur pied une course de vitesse. Les premières lignes du règlement sont les suivantes : «En mémoire de M. Henry Deutsch de la Meurthe, Madame Henry Deutsch de la Meurthe et ses enfants ont décidé de consacrer une somme de 200 000 F à une épreuve internationale de vitesse qui portera le nom de Coupe Henry Deutsch de la Meurthe.»

Le règlement prévoit que cette coupe sera disputée tous les ans, donc en principe, pendant trois ans. Ce sont les Fédérations nationales qui s’engagent dans la course. Elles désignent un ou plusieurs concurrents qui seront leurs représentants ; ils devront appartenir à la nationalité de la Fédération qui les présente.

Les 200 000 F offerts se répartissent ainsi : 60 000 F en espèces pour chacun des vainqueurs des trois courses. De plus, un objet d’art d’une valeur de 20 000 F leur sera remis, en guise de trophée ; la Fédération nationale dont le représentant a gagné la course, en sera le détenteur jusqu’à l’attribution suivante. Le détenteur définitif de la coupe sera le concurrent ayant gagné deux fois l’épreuve, ou, à défaut, le troisième gagnant. (Il s’agit, bien sûr des firmes aéronautiques, car les pilotes qui sont leurs salariés font la course en leurs noms).

 

2014 Parcours de la CoupeSi le règlement dont nous venons de parler précise aussi que les concurrents, pour des raisons de douanes et d’assurances, doivent déclarer le nom du pilote et les caractéristiques des appareils et des moteurs, il n’impose aucune contrainte particulière en ce qui concerne les données techniques.

Le trajet est établi entre Etampes-Villesauvage et le lieu-dit La Marmogne, commune de Gidy, à quelques kilomètres au nord d’Orléans. Cette base qui reprend la piste de la Coupe Gordon-Bennett de 1920, fait exactement 50 km ; elle devra être parcourue trois fois, aller-retour ; soit une distance totale de 300 km. Les temps de vol seront pris «en vol», tant au départ qu’au retour, lorsque les avions couperont une ligne définie par les chronométreurs.

2014 Georges Kirsch

Georges Kirsch (MA14617)

 

Georges Kirsch remporte l’épreuve le 1er octobre 1921, avec un avion Nieuport-Delage 29V à moteur Hispano-Suiza de 320 cv, à la moyenne horaire de 282,75 km/h. L’année suivante, le 30 septembre 1922, l’épreuve est remportée par Fernand Lasne, une nouvelle fois sur un avion Nieuport-Delage 29V, à la moyenne horaire de 289, 90 km/h.

 

La Société Nieuport–Astra devient donc détentrice définitive de la coupe «Deutsch de la Meurthe». L’épreuve s’endort pour onze ans.

 

 

 

 

 

2014 Ferdinand Lasne

Ferdinand Lasne (MAE)

En 1932, en souvenir de son ancien président, l’Aéro-Club de France ressuscite la Coupe Deutsch de la Meurthe. Comme en 1922, elle comportera l’attribution d’un objet d’art d’une valeur de 20 000 F qui sera remis en jeu tous les ans et les vainqueurs recevront 100 000 F en espèce. Mais pour éviter les outrances de la coupe Schneider qui voit, au cours des années les puissances des moteurs passer des 160 cv du Deperdussin de 1913 aux 2350 cv de l’hydravion Supermarine S6B de 1931, en passant par les 610 cv du Curtiss R3C2 de Doolittle, en 1925, le nouveau règlement de la coupe introduit, dans son article 2, une clause qui aura une très grande portée dans le domaine des techniques.

Article 2. Cylindrée et combustible. – La cylindrée totale du ou des groupes motopropulseurs montés sur les appareils sera au maximum de 8 litres, avec ou sans dispositif de suralimentation.
Le concurrent emploiera le combustible de son choix.

Cette clause, sans limiter arbitrairement la puissance des moteurs, incite les constructeurs à entreprendre des recherches pour tirer les meilleurs rendements dans les domaines de l’aérodynamique, de la mécanique et même des carburants.

L’épreuve comprend deux parcours de 1 000 km, séparés par une escale obligatoire de 1h30, sur un trajet de 100 à 200 km. Le départ sera donné en vol, pour la première partie et au décollage pour la deuxième. L’arrivée sera chronométrée en vol, pour les deux trajets.

2014 Circuit Coupe Deutsch de la MeurtheLe pilote devra être seul à bord. Pour être admis à participer à la course chaque concurrent devra témoigner que, sur une distance de 100 km en circuit fermé, avec l’avion de la course, équipé de son moteur ou d’un moteur identique, il a atteint une vitesse moyenne d’au moins 200 km/h.

Le règlement prévoit aussi que le nombre de concurrents sera limité à 20 qui seront sélectionnés après des épreuves éliminatoires (en fait, le nombre de concurrents n’a jamais atteint cette limite haute).

A chaque pylône de virage, le concurrent devra se présenter le plus bas possible et sera contrôlé à l’œil nu.

L’avion sera peint d’une couleur par nationalité : pour la France, ce sera le bleu.

La date de l’épreuve est fixée : ce sera le 28 mai 1933. Pour des raisons de mauvaise météo, elle sera finalement courue le lendemain 29 mai.

2014 Henry Potez en 1934

Henry Potez en 1934 (MA17039)

Sur un coup de tête, en janvier 1933, Henry Potez décide de participer à la course. En quatre mois, tout est à faire, tant pour la cellule que pour le moteur.

En ce qui concerne ce dernier, Potez dispose du moteur type 9A. C’est un moteur en étoile à refroidissement par air qui développe une puissance de quelques 150 à 160 cv puissance bien insuffisante pour entraîner un avion à une vitesse qui permette d’envisager une victoire. Néanmoins, en prenant ce moteur comme base de ses travaux et pour en augmenter la puissance tout en restant dans le cadre de la réglementation de la course, la société décide de lui adjoindre un compresseur. Ce sera un compresseur de type centrifuge, choisi pour sa légèreté, son faible encombrement et sa facilité d’adaptation à un moteur en étoile. Il apportera un taux de compression de 6 et la puissance maximale, obtenue à 2520 tours/minute, monte ainsi à 310 cv, ce qui, avec l’essence de l’époque dont l’indice d’octane ne dépasse pas 80, est une performance tout à fait remarquable. Le moteur devient alors le moteur Potez 9B.

 

 

 

 

2014 moteur9B installé sur le Potez53

Le moteur9B installé sur le Potez53 (MA11031)

Pour la cellule, l’ensemble capot cabine est étudié en fonction des dimensions du moteur (diamètre 0,97 m) et de la taille et de la corpulence des pilotes. L’appareil qui porte le numéro constructeur 3402 sera attribué à Georges Détré et le 3403 à Gustave Lemoine. Les pilotes qui doivent entrer dans leur cabine avec un chausse-pied ne bénéficient, sans doute, que d’un confort tout à fait rudimentaire. C’est ainsi que Monsieur Labouchère, directeur des essais en vol de la firme Potez, ne pourra voler sur aucun des avions de la course. Le pilote trouve place dans le tiers arrière du fuselage. Il est protégé par un pare-brise qui forme presque une conduite intérieure, bien qu’il ne soit pas entièrement clos. Posé sur la cabine, il se verrouille de l’intérieur, mais, il peut être largué en vol pour permettre une évacuation en parachute en cas de danger. Le pilote dispose aussi d’un appui-tête qui se prolonge vers l’arrière et dont la forme décroissante amorce la dérive.

Toute aspérité inutile est exclue du concept de l’appareil c’est ainsi, qu’à l’exception de la cabine, le fuselage ne comporte aucun trou. A l’intérieur, derrière le moteur, on a placé un réservoir d’huile de 50 litres. Le réservoir d’essence se trouve devant le poste de pilotage, environ au centre de gravité de l’avion ; il a une capacité de 320 litres, quantité indispensable à l’exécution d’un parcourt de 1 000 km sans escale intermédiaire.

Soulignons, en passant que Henry Potez avait choisi l’option d’effectuer les 1 000 km de chacune des deux manches, d’une seule traite, malgré l’augmentation du poids de l’appareil dû au volume plus important de l’essence embarquée. Le ministère de l’Air ayant autorisé une étape intermédiaire à 500 km, les autres concurrents préfèreront cette option bien que le temps consacré à cet arrêt soit, évidemment compté dans celui de la course.

 

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L’aile de faible allongement du Potez du Musée (J-P Reynaud)

Les ailes sont de type cantilever, c’est-à-dire sans mâts ni haubans générateurs de traînées induites parasites. Leur forme est trapézoïdale. Le bord d’attaque est rectiligne, avec les extrémités légèrement arrondies. La structure de la voilure est entièrement en bois ; elle comprend deux longerons caissons et des nervures en spruce ; le revêtement est en contre-plaqué. D’une profondeur maximale de 1,42 m à l’emplanture, les ailes donnent au Potez 53 une envergure de 6,65 m. C’est dans les ailes qu’on trouve deux innovations tout à fait originales.
La première réside dans le concept ailerons/volets. Les ailerons, longs de 1,7 m et larges de 0,20 m sont encastrés dans le bord de fuite. Ils présentent cette particularité de pouvoir être actionnés de façon dissymétrique par le manche à balai, comme sur tous les avions, dans leur rôle de gouverne de gauchissement, mais aussi, symétriquement grâce à une roue qui se trouve devant le pilote, à la partie inférieure du manche ; ils servent alors de volets de courbure. Ce procédé ingénieux économise du poids et améliore l’écoulement aérodynamique de l’air.

 

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Le train de l’avion du Musée (J-P Reynaud)

La deuxième est dans l’adoption d’un train d’atterrissage rentrant. Cette disposition est loin d’être négligeable, puisqu’elle fait gagner à l’avion 40 km/h de vitesse pure.

Par contre elle impose au pilote un exercice de musculation en lui faisant exécuter 32 tours d’une manivelle placée sur le coté droit de l’habitacle, au moment délicat du décollage et de la prise de vitesse. Le train est escamotable vers l’extérieur ; il vient se loger dans les ailes et la continuité du profil est rétablie par un carénage des roues et des jambes de train. Une fois sorties, les roues présentent un empattement de 1,50 m. Une simple béquille en lames de bois fait office de roulette arrière.

 

 

 

2014 Manivelles pour les volets et le train

Manivelles pour les volets et le train (J-P Reynaud)

Les empennages, tant de profondeur que de direction, sont construits suivant les mêmes principes d’économie de traînées qui ont prévalu dans la construction des ailes. Les commandes sont rigides et aucun de leurs éléments n’émerge de la surface du revêtement. Cela dit, ils ne présentent aucune particularité susceptible d’être signalée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2014 premier Potez 53

Le premier Potez 53 à sa sortie d’atelier (MAE)

Les caractéristiques du Potez 53 sont les suivantes :
-envergure : 6,65 m
-longueur : 5,40 m
-hauteur : 1,80 m (train rentré, sans hélice)
-hauteur hors tout : 2,50 m
-poids sans essence : 600 kg
-poids de l’essence et de l’huile : 300 kg
-poids total : 900 kg
-moteur Potez 9B de 310 cv à 2500 tours/minute
-charge alaire :
– avec les pleins complets : 125 kg/m²
-à vide : 83 kg/m2

 

2014 deux Potez 53

Les deux Potez 53, le 12 de Gustave Lemoine et le 10 Georges Détré. (MAE)

Les essais commencent le 26 avril 1933 par un vol de Gustave Lemoine. Pour son premier atterrissage, son avion est léger (85 kg/m2 tout de même) car il n’a pas fait, au départ, les pleins complets ; il ne juge pas utile de sortir ses volets (il fallait tourner la roue entre ses jambes) et… il se pose trop long et se trouve à deux doigts de sortir de la piste et de casser son appareil, ce qui aurait mis un terme à une aventure qui n’avait pas encore commencé. Il ne reste qu’un mois pour procéder aux essais des deux appareils. Les pilotes découvrent que le Potez 53 souffre d’un grave défaut de centrage arrière ; d’un commun accord, ils décident de ne pas en souffler mot, de peur que la mise au point ne puisse être effectuée avant le départ de la course ; ils n’auront qu’à piloter leurs appareils avec beaucoup de précautions s’ils ne veulent pas se trouver dans des situations dangereuses. Et pour compliquer un peu le problème, ils choisissent d’équiper les moteurs avec une hélice Chauvière de 2,25 m de diamètre à calage fixe car ils n’ont pas encore confiance dans l’hélice à calage variable des avions Caudron (je vous ai déjà expliqué son fonctionnement dans l’article sur le Caudron Simoun du Pégase n°134 du mois d’octobre 2009).
Mais, pour une course de vitesse, l’hélice doit être calée au grand pas… je vous laisse imaginer les problèmes de décollage ; les avions couraient, en cahotant parmi les touffes d’herbes, sur des distances considérables (si je puis me permettre de faire la comparaison avec une auto de la même époque, c’est comme si Citroën avait décidé que les démarrages de sa célèbre «traction avant» ne devaient s’effectuer qu’en troisième vitesse. Il est clair qu’elle ne serait pas partie sur les «chapeaux de roues»).

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Le départ d’un des deux Potez (MAE)

Pour employer une de ces expressions un peu triviales que les pilotes affectionnent dans les palabres au coin du bar : ce petit appareil, tel qu’il se présente le jour de la coupe, avec les pleins d’essence complets, est un vrai « casse gueule » qui ne doit être confié qu’à des pilotes très expérimentés. Et pourtant, c’est lui qui va gagner.

Arrive le grand jour du 28 mai. Bien sûr, il fait mauvais et l’épreuve est reportée au lendemain 29 mai. Treize candidats se sont inscrits pour la course. On leur a attribué, par tirage au sort, un numéro d’ordre qui devra être écrit en grands chiffres blancs sur les fuselages. L’avion de Georges Détré reçoit le numéro 10 et celui de Gustave Lemoine, le numéro 12.
Pour différentes raisons qu’il serait fastidieux d’énumérer ( citons cependant le décès du capitaine Ludovic Arachart qui se tue, le 24 mai, en procédant aux essais du Caudron n°11), il ne reste plus que six avions, au départ, le 29 au matin. L’appareil Farman à moteur Renault de Maurice Arnoux roule une centaine de mètres, brise son atterrisseur mono roue, endommage son hélice et est contraint d’abandonner. Ce ne sont finalement que cinq avions qui participeront à cette Coupe Deutsch de la Meurthe 1933.

2014 Gustave Lemoine devant son Potez

Gustave Lemoine devant son Potez (MC25786).

Gustave Lemoine, sur son n°12 décolle à 10h10 en 40 secondes (croyez-moi, il a dû trouver le temps long, car cela représente un bon kilomètre de roulement, sinon davantage ; les autres avions décollaient en 15 ou 20 secondes). Chef pilote d’essais de la firme Potez, c’est évidemment lui qui avait pour mission de gagner la course en tirant le maximum de son moteur ; mais dans son premier tour de circuit, gêné par une visibilité médiocre, il manque le contrôle d’Ormoy et perd quelques 25 minutes (que les pilotes qui ne se sont jamais égarés lui jettent la première pierre : ce ne sera certainement pas moi). La course est finie pour lui. Il va néanmoins exécuter trois tours supplémentaires du circuit : le tour n°2 sera effectué à la vitesse moyenne de 354,7 km/h, le n°3 à 352,9 km/h et le n°4 à 356,1 km/h. Il bat ainsi par deux fois le record du tour. Il se pose à l’issue de son quatrième tour, officiellement parce qu’il avait consommé assez d’essence pour alléger son appareil et que son moteur commençait à chauffer, mais, les mauvaises langues disent que c’était surtout parce que c’était l’heure du déjeuner.

2014 Georges Détré devant son Potez n°10

Georges Détré devant son Potez n°10 (MC2576)

Georges Détré dont la mission consistait à assurer le coup en faisant une course d’attente en ménageant son moteur, a décollé à 10h05. Il n’a roulé que pendant 35 secondes, car l’hélice du 3402, légèrement plus grande que celle du 3403, devait favoriser le décollage de l’avion, mais il faut croire aussi que la force et la direction du vent étaient plus favorables pour lui qu’elles ne le seront pour Lemoine, cinq minutes plus tard.

 

 

 

 

 

2014 dérive musée porte le numéro de série 3402, l'avion de Détré

La dérive de l’avion du musée porte le numéro de série 3402, l’avion de Détré (J-P Reynaud)

Quelques jours avant la course, à bord d’un Potez 36, Georges Détré, par prudence, avait effectué une reconnaissance précise du trajet de la course. De plus, le matin du 29 mai, toujours sur son Potez 36, il s’était assuré des bonnes conditions atmosphériques sur l’ensemble du parcours. Il n’eut ainsi aucun problème de navigation et put se consacrer exclusivement au pilotage de son petit bolide.
Tout, pour lui, se déroule alors d’une façon simple et régulière, je dirai presque monotone. Pour prendre ses virages sans perdre de la vitesse, en particulier celui d’Etampes qui est très serré, il préfère voler à quelques distances à l’extérieur du trajet officiellement retenu (la méthode pour effectuer un changement de direction, dans un minimum de temps, normalement enseignée dans les écoles de chasse est celle-ci : une fois passée la ligne de contrôle, exécuter une montée en chandelle, puis inclinaison à 80/90 degrés. En gardant la profondeur au neutre, le nez de l’avion retombe sur l’horizon. Après avoir viré dans un mouchoir de poche, l’avion reprend toute sa vitesse dans le piqué consécutif à cette manœuvre. Il est clair que le Potez 53 n’autorisait pas une telle fantaisie et, sans trop exiger de son moteur, il tourne régulièrement, légèrement au dessus de 320 km/h au tour. Il boucle son meilleur tour, le dixième de la première manche, à 329,4 km/h. Les premiers mille kilomètres sont parcourus en 3 heures 05 minutes et 45 secondes. Après l’arrêt obligatoire d’une heure et demi, la deuxième manche se déroule sans incident et Georges Détré, à bord du Potez 53 n°10, remporte la Coupe Deutsch de la Meurthe 1933 en 6 heures 11 minutes et 45 secondes, à la vitesse horaire moyenne de 322,8 km/h.

Quelques temps avant la Deuxième Guerre Mondiale, Henry Potez a fait cadeau de l’avion de Georges Détré au Musée de l’Air qui l’a gardé, depuis, dans ses collections.

Il y aura deux autres éditions de la coupe Deutsch de la Meurthe.

-1934 : elle est gagnée par Maurice Arnoux sur Caudron 450 à moteur Renault de 320 cv, à la vitesse moyenne de 388,97 km/h. Les deux Potez 53 participeront à la course, mais victimes d’ennuis moteurs, ils seront contraints d’abandonner. Le règlement de l’édition 1934 était pratiquement identique à celui de 1933.
-1935 : elle est gagnée par Yves Lacombe, encore une fois sur Caudron 450 à moteur Renault, à la moyenne de 389,47 km/h. Le règlement de l’édition 1935, en incluant en particulier une clause de franchissement d’obstacles après l’envol, apporte des modifications assez fondamentales dans les domaines des décollages et atterrissages. Elles entraînent obligatoirement l’utilisation d’hélices à pas variable. Est-ce parce que les commissaires de course ont eu des sueurs froides en voyant décoller les Potez ? Ou est-ce pour promouvoir encore davantage les progrès techniques dans la construction aéronautique ?

Quels furent, pour l’aéronautique, les apports de ces épreuves de vitesse pure ? Si nous ne devions en retenir que deux ce seraient, sans conteste possible, les avantages donnés par le train rentrant et l’hélice à pas variable. On serait, bien sûr, arrivé un jour aux mêmes conclusions mais ce sont les enjeux de la course qui les ont rendus évidents. A compter de cette date tous les avions d’une certaine importance en seront équipés. Le moteur Hispano-Suiza 12 Nb du «Point d’Interrogation» qui était ce qui se faisait de mieux en 1930, peut être renvoyé, dès 1933, au rang des antiquités ; plus jamais, un moteur de 650 cv ne sera doté d’une hélice à calage fixe.

2014 Potez 532 de Détré, ex n°12

Le Potez 532 de Détré, ex n°12 au fuselage affiné, équipé d’un moteur 9Bb de 350 cv qui cassera pendant la course de 1934 (MAE).

 

Avant de clore ce chapitre, j’aimerais vous parler des seconds de cette course.

2014 Raymond Delmotte devant le Caudron 362

Raymond Delmotte devant le Caudron 362, il se classera second (MA25842)

 

 

-En 1933, il s’agit de Raymond Delmotte sur Caudron 362 à moteur Renault. Il termine la course à la moyenne de 291,12 km/h. Mais si on fait abstraction des quelques minutes perdues aux ravitaillements intermédiaires des 500 km, cela porte sa moyenne à 317 km/h ; à 5,8 km/h de la moyenne du vainqueur. Son meilleur tour est le 12e, chronométré à 329,9 km/h. Pourtant, la puissance de son moteur n’est que de 170 cv qu’il faut comparer aux 310 cv du Potez.

 

 

 

 

 

 

 

2014 Caudron 362 de Delmotte

Le Caudron 362 de Delmotte (MAE)

-En 1934, le second est Louis Massotte sur Caudron 366 «Atalante», à moteur Régnier de 205 cv, à la moyenne horaire de 360,72 km/h. Plus tard, en vue de participer aux épreuves de 1935 auxquelles il ne pourra d’ailleurs pas prendre part, cet avion va subir de nombreuses modifications. En 1952 il sera de nouveau redessiné pour être utilisé dans le tournage du film «Horizons sans fins» qui retrace la vie d’Hélène Boucher, avec Gisèle Pascal dans le rôle de la célèbre aviatrice. C’est sous ce nouvel aspect que le Musée de l’Air l’achète aux établissements Régnier, le 3 juin 1959. Même s’il n’a plus tout à fait la même silhouette qu’en 1934, c’est bien du même avion qu’il s’agit. Il y a quelques années, il était présenté, à côté du Potez 53, dans le Hall A réservé aux avions de l’Entre-deux guerres. Ce nonobstant, il est relégué, aujourd’hui, au fond des réserves du Musée…

2014 Caudron 366 Atalante de Louis Massotte

Le Caudron 366 Atalante de Louis Massotte, troisième (MA25842)

Je sais qu’il y a toujours quelque chose de mieux à faire et qu’on ne peut pas tout faire à la fois, mais en eux-mêmes, le Potez 53 et le Caudron «Atalante» sont célèbres ; ils ont contribué en leur temps, à faire progresser les techniques de l’aéronautique. Ils méritent d’être mis en valeur, l’un à côté de l’autre, par une présentation particulière qui les distingue d’entre tous les appareils anonymes du hall E, si intéressants soient-ils.

Jean-Paul Reynaud (AAMA)

Article extrait du Pégase n°137 de juin 2010.

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