LE CAUDRON SIMOUN

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Le Caudron Simoun du Musée (J-P Reynaud)

 

De grandes aventures, un petit avion: le Caudron Simoun.

Vous ne l’avez pas vu ? C’est quand même bien dommage et cela prouve que vous êtes passés trop rapidement, sans prendre le temps de vous arrêter afin de visiter la très belle exposition consacrée à Antoine de Saint-Exupéry dans le hall E, tout de suite après être sorti du hall de l’Espace. En effet, placé à la fin de l’exposition, l’avion se trouve un peu à l’écart des autres présentations et on peut facilement passer sans le voir.

Bien qu’il n’ait jamais fait partie de la flotte de cette compagnie, l’avion du Musée est présenté avec la livrée bleue des avions postaux de la compagnie Air Bleu. Il porte une immatriculation, F-ANRO, qui correspond à celle du C.630 n°19/7017, qui n’est pas la sienne. En fait, il s’agit d’un modèle C.635M militaire. Il fait partie d’un lot d’une centaine d’exemplaires commandé en 1938. On ne connaît rien de son activité dans l’armée de l’Air, mais son histoire est loin d’être banale car il a joué un rôle, à la fin du mois de juin 1940, dans la tentative d’évasion d’un pilote fuyant la France occupée ; je vous en reparlerai ci-dessous. L’avion, posé en urgence au Portugal, a été saisi par les autorités de ce pays qui l’ont revendu à un certain Monsieur Carvalho. Il a été maintenu en état de vol jusqu’en 1970 avant d’être réformé. Le Musée de l’Air et de l’Espace en a fait l’acquisition en 1973 et l’a fait convoyer du Portugal au Bourget par un Transall de l’Armée de l’Air.

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Le Caudron Simoun du Musée (J-P Reynaud).

Le Caudron Simoun a été conçu en 1934 par Marcel Riffard, avec la collaboration de l’ingénieur Oftinovsky. Il est présenté au XIVe Salon de l’Aéronautique, sous le nom de Simoun C.500. C’est un appareil monomoteur équipé du moteur Renault Bengali 6 Pfi de 170 CV. Les versions suivantes seront équipées du moteur Renault Bengali 6Pri de 180 CV et les versions C.631/635/635M, de l’excellent moteur Renault Bengali 6Q de 220 CV qui équipera également le petit bimoteur Caudron Goéland. Ces moteurs sont des six cylindres en ligne inversés à refroidissement par air.

 

 

 

 

 

2014 Caudron Simoun du Musée

Le moteur à refroidissement par air du Simoun (J-P Reynaud)

Ils sont tous dotés d’une hélice à pas variable. Cette dernière particularité mérite qu’on s’y arrête un instant. Le Simoun est issu des études concernant les différents avions de course Caudron C.366 Atalante ( un exemplaire existe dans les collections du Musée ) et C.450, vainqueur de la coupe Deutsch de la Meurthe en 1934, aux mains du pilote Maurice Arnoux, à la vitesse moyenne de 389 km/h. Or les règlements de l’époque avaient fixé une limite supérieure de 8 litres pour la cylindrée des moteurs employés, exigeant ainsi des constructeurs la réalisation de nombreux progrès dans l’élaboration de leur matériel volant. C’est alors qu’on voit apparaître des avions dotés des premiers trains rentrants (cas du Potez 53) ou des moteurs équipés des premières hélices à pas variable (cas du Caudron Atalante). C’est ce dernier dispositif qui va tout naturellement équiper les Simoun. C’est un système tout nouveau, très ingénieux mais qui demande à être perfectionné. Le calage de l’hélice est à deux positions: petit pas pour le décollage et grand pas en croisière. Au sol, on calait l’hélice au petit pas en gonflant une vessie à l’aide d’une simple pompe à vélo; une fois en vol de croisière, un système faisait dégonfler la vessie et l’hélice prenait ainsi, automatiquement, le calage au grand pas. A chaque escale, outre le complément des pleins d’essence, il fallait regonfler la vessie pour un nouveau décollage. (Est-ce pour cette raison que les personnels au sol ont été gratifiés du sobriquet de « gonfleurs d’hélice »?) Ne pas pouvoir revenir, en vol, au calage petit pas présentait quand même le gros défaut de rendre particulièrement périlleuses les tentatives de remise de gaz lors d’atterrissages manqués (une reprise avec une hélice au grand pas sur un avion correspond à une reprise en 5e vitesse avec une auto). Pourtant, ce dispositif sera en service pendant la première année d’exploitation; ensuite, le progrès venant, le pilote pourra régler lui-même le calage de l’hélice, depuis son poste, grâce à un système de commande électrique.

 

2014 Caudron Simoun en vol

Un Caudron Simoun en vol (MA12618)

L’avion est un monoplan à ailes basses, sans dièdre pour les exemplaires allant jusqu’au C.630 et avec un léger dièdre (4°) pour les modèles C.635. Il est doté d’un train d’atterrissage classique fixe et caréné. La gouverne de direction dispose d’un système de compensation ( on dit auusi: Flettner) fixe, qui doit être réglé au sol pour une utilisation au régime de croisière. Celle de profondeur est dotée d’un réglage du plan horizontal que le pilote peut actionner, depuis sa place, au moyen d’un système à manivelle. Il possède des volets de courbure qui sont actionnés, eux aussi, au moyen d’une manivelle.

Les caractéristiques des Simoun sont les suivantes:
Envergure: 10,40 m
Longueur: 8,70 m.
Hauteur: 2,25 m.
Poids total en charge: 1230 kg.
Vitesse maximale: 310 km/heure.
Plafond: 7500 m.
Distance franchissable: 1.260 km.
A l’origine, il s’agit simplement d’un avion civil de petit transport ou de tourisme. Pourtant, sous son aspect bien modeste, il est destiné, comme nous allons le voir, à avoir une très grande carrière dans des domaines qui marqueront l’Histoire.

 

AIR BLEU

2014 Didier Daurat

Didier Daurat (MA8301)

Attaché à la direction de la compagnie Air France qui venait d’être créée en 1933, Didier Daurat, personnage légendaire des lignes Latécoère, fut chargé de missions ; particulièrement frappé par l’intérêt porté à la poste aérienne, en Allemagne, mais surtout aux Etats-Unis il propose alors à la jeune compagnie de mettre sur pied une branche de son activité avec pour objet, le transport du courrier sur le territoire de la France métropolitaine. A cette date, Air France, préoccupée sans doute par ses propres problèmes de création ne voit pas bien, sur ces courtes distances, l’avantage de l’avion sur le train et refuse la proposition qui lui est faite. Didier Daurat ne s’estime pas battu et, avec Beppo de Massimi, un autre ancien des lignes Latécoère, ils créent, en 1935 leur propre compagnie. Son ambition déclarée est de transporter le courrier économiquement de telle façon qu’une lettre déposée à Paris le matin puisse recevoir la réponse le soir même ; c’est-à-dire à une vitesse presque équivalente à celle d’un télégramme ; d’où le nom Air Bleu qui lui est attribué et qui rappelle la couleur des télégrammes surnommés les « petits bleus ».

Daurat exige un avion ayant une vitesse supérieure à 250 km/h, une charge utile d’au moins 300 kg, capable de franchir une distance de 1.000 km. De plus, pour pouvoir voler par mauvais temps, cet appareil devra être équipé d’une instrumentation ( horizon artificiel, compas gyroscopique et équipement radio) autorisant le vol sans visibilité (VSV) et de dégivreurs d’ailes. Ce sera le Caudron Simoun C.630 (donc avec une voilure sans dièdre) ; la première commande porte sur six appareils (F-ANRI à F-ANRN), avec une option pour quatre autres. Ils seront tous peints en bleu avec une flèche blanche sur le fuselage.

La nouvelle compagnie est complètement privée; elle ne demande aucune subvention à l’Etat. Dans son capital entrent, en particulier, les firmes Renault, Hachette, Chargeurs Réunis et Fraissinet. Son siège social est 6 Boulevard des Capucines, à Paris avec pour directeur général, Beppo de Massimi;et pour directeur d’exploitation, Didier Daurat.

Air Bleu passe un protocole d’accord avec l’Administration des Postes pour le transport du courrier sur le territoire français métropolitain, Georges Mandel était alors ministre des PTT et le général Denain, ministre de l’Air. Le courrier aérien devra payer une surtaxe de 2,50 francs pour 10 grammes (la franchise normale, à l’époque, était de ,50 fr).

Daurat recrute comme chef du personnel navigant un autre ancien des lignes Latécoère, Raymond Vannier et s’installe au Bourget. Ils s’attachent à créer une première équipe de 10 pilotes et 10 radios navigants, avec un nombre convenable de mécaniciens.

L’inauguration a lieu le 10 juillet 1935. Georges Mandel remet, symboliquement à Raymond Vannier le «Premier Courrier de Bordeaux» (détail très important pour les philatélistes)et quatre équipages décollent à la même heure du Bourget (11h45). Ils sont de retour l’après-midi même. Le Simoun venant de Lille se pose à 17h06, celui du Havre à 17h40, celui de Bordeaux à 18h24 et celui de Strasbourg à 18h30.

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Le F-ANRK d’Air Bleu qui sera accidenté à Tours (MA3044)

Au fil du temps la compagnie prend de l’ampleur; de nouvelles lignes sont ouvertes: Paris – Nantes, Paris –Toulouse, Paris – Clermont-Ferrand; la flotte se gonfle de nouveaux avions (dont le F-ANRO, celui dont l’avion du Musée a usurpé l’immatriculation). Et, jours après jours, la ligne passe avec une régularité qui frise les 100 %. Seul un accident survenu lors de l’escale de Tours, le 4 décembre 1935 entraînant la perte de l’avion RK et le décès du pilote Georges Texier, vient endeuiller une si belle aventure.

Hélas, le succès financier n’est pas à la hauteur du succès technique et le public, découragé sans doute par le coût de la surtaxe, n’est pas au rendez-vous. La compagnie enregistre des pertes considérables, et Air Bleu est contraint de cesser ses activités le 1er Août 1936.

En est-ce fini de la poste aérienne? Pas du tout, car si le public avait boudé cette première tentative, l’administration des PTT a bien pris la mesure de l’intérêt que cela représente d’un point de vue du service public et de ses perspectives futures. Moins d’un an plus tard, Air Bleu renaît de ses cendres en passant sous le contrôle financier de l’Etat. Les activités reprennent le 7 juillet 1937. Le capital de la compagnie est ainsi partagé: Etat 52%, Air France 24% et les actionnaires d’Air Bleu 24%. Les tarifs sont, désormais, sans surcharge.

Dés lors, le volume du courrier ne cesse d’augmenter. Après deux années d’exploitation, en plus de 10.000 heures de vol, Air Bleu a parcouru environ deux millions de kilomètres et transporté 538 tonnes de courrier avec une régularité de 99,5 %.

Devant un tel succès, il apparaît bientôt nécessaire de mettre en œuvre des liaisons de nuit et la flotte des petits Simoun se révèle insuffisante. Air Bleu cherche alors à s’équiper avec un bimoteur léger qui aurait eu, n’en doutons pas, une très grande carrière si la guerre n’était survenue: le Caudron C.440/444 Goéland. Le premier vol postal de nuit a lieu le 10 mai 1939 sur la ligne Paris – Bordeaux – Pau.

La guerre éclate en septembre 1939 et Air Bleu devient alors une simple division d’Air France qui sera la Postale de Nuit, à la fin des hostilités; mais, ceci est une nouvelle aventure qui n’entre plus dans le cadre de l’histoire des Simoun.

 

2014 Caudron C.440Goéland

Caudron C.440Goéland (MAE)

2014 Goéland de la Postale de Nuit

Un Goéland de la Postale de Nuit (MA32350)

 

Les records et les raids.

Des tentatives de records, des voyages prestigieux, il y en a eu déjà beaucoup, quand le Simoun entre en service, mais, le plus souvent, ces vols mettaient en œuvre un avion particulier étudié et construit dans le but de réaliser un objectif précis, (le Spirit of Saint Louis ou le Point d’Interrogation, par exemple). Mais jamais, dans l’histoire de l’aviation, un appareil de grande série n’avait soulevé autant d’engouement parmi les aventuriers de l’air. Ils sont foule à avoir choisi le Caudron Simoun comme monture pour leurs exploits après avoir, bien évidemment, mis à la place du fret que l’appareil était sensé transporter, de vastes réservoirs d’essence. Sans prétendre être exhaustif, je vous propose de voir, avec moi quelques uns des exploits les plus célèbres réalisés par ces intrépides (faut-il lire: fous?) pionniers.

 

2014 Le Lieutenant Génin

Le Lieutenant Génin (MA7717).

Cela débute par la tentative de l’équipage Genin et Robert qui, du 18 au 21 décembre 1935, sur le Simoun F-ANXA, relie Paris à Tananarive. Les 8.665 kilomètres ont été parcourus en 57 heures et 36 minutes. Soit à la moyenne de 152 km/h.

Mais, à cette époque les faveurs de l’Administration allaient vers l’étude du trajet Paris-Tokyo. Le but était de relier les deux capitales en moins de cent heures. C’est donc vers cette destination que les pilotes les plus célèbres vont tenter de battre des records de vitesse ; aucun d’eux n’y parviendra d’ailleurs. Il faut dire que l’URSS d’alors interdisait le passage au-dessus de son territoire. Les raids devaient donc passer par le Moyen-Orient, les Indes et l’Indochine française avant de remonter vers le nord, par la Chine, vers le Japon. Le trajet s’allongeait ainsi de quelques 5.000 km, par rapport au trajet direct.

 

 

 

 

 

2014 André Japy entouré du pilote Arnoux et du mécanicien Micheletti

André Japy entouré du pilote Arnoux et du mécanicien Micheletti (MA20528)

C’est ainsi que, sur le même Simoun F-ANXA modifié en monoplace, le pilote André Japy fait une tentative pour relier Paris à Tokyo. Il décolle du Bourget le 15 novembre 1936 à 23h46 et atterrit à Hanoi le 18 décembre à 2h18. Il a effectué le trajet en 50 heures et 59 minutes après avoir fait escale à Damas, Karachi et Allahabad. Le lendemain, Japy décolle pour Hong-Kong où il atterrit à 8h08; il repart pour Tokyo à 8h20, mais doit faire demi-tour à cause du mauvais temps; il repart à 21h35, mais toujours à cause du mauvais temps, il est obligé de se dérouter vers l’île de Kyushu. En cherchant à repérer le terrain de Fukuoka, il accroche les arbres et s’écrase au sol. L’avion est détruit et le pilote, gravement blessé.

 

 

 

2014 Marcel Doret et François Micheletti

Marcel Doret et François Micheletti (2002-2-337)

Cette mésaventure ne décourage pas l’équipage Doret et Micheletti qui, du 20 au 23 janvier 1937, sur le Simoun C.635 F-ANXM, fait le trajet Le Bourget – Hanoi en 71h05. En voulant continuer vers Tokyo, le vol se termine sur une île du golfe du Tonkin, à cause du mauvais temps.

 

 

Ils recommencent leur tentative quatre mois plus tard avec le Simoun C.635 immatriculé F-APMS. Ils quittent Le Bourget le matin du 22 mai 1937 à 5h05. Mais, le 25 du même mois, alors qu’ils sont à peine à 500 km de l’arrivée, pris dans le mauvais temps, ils sont accidentés prés de l’île de Shikoku, au Japon. L’avion est détruit et l’équipage gravement blessé.

2014 F-ANXM Doret et Micheletti

L’avion de Doret et Micheletti (MAE)

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Présentation à la presse du Caudron de Doret et Micheletti avant le raid vers Tokyo (MA3793)

 

2014 F-ANXO Simoun C.635

Le Simoun C.635 F-ANXO de la traversée de l’Atlantique Sud (MA10247)

Et les dames, que font-elles? Et bien, elles ne se font pas oublier.

La grande aviatrice Maryse Bastié qui détenait en 1931 les records de durée (37h55) et de distance entre Paris et Yurino, en Russie (2976 km), se tourne maintenant vers le sud. Du 12 au 19 décembre 1936, elle prend le chemin de Dakar, avec le Simoun C.635 immatriculé F-ANXO. Sur place, son mécanicien Lendroit, installe sur son avion un grand réservoir d’essence supplémentaire. En l’honneur du célèbre pilote disparu le 7 décembre, elle baptise son appareil Jean Mermoz.

 

 

 

 

2014 Simoun baptisé Jean Mermoz

Le Simoun baptisé Jean Mermoz (MA124)

Le 30 décembre 1936, avec son Simoun chargé de 890 litres d’essence, elle s’élance, seule à bord, pour, dit-elle avec modestie,«simplement» traverser l’Atlantique Sud. Ayant décollé de Dakar à 7h23, elle se pose à Natal, au Brésil, 12h05 plus tard après avoir affronté la traversée du terrible Pot au Noir du front intertropical. Elle vient d’effectuer les 3.173 kilomètres qui séparent Dakar de Natal à la moyenne horaire de 264 km/h. Suivant cette habitude, bien française, qui répugne à associer résultats sportifs et publicité commerciale, cette formidable aventure ne sera que très mal exploitée ; l’avion sera tout simplement livré à l’Attaché de l’Air à Buenos-Aires.

2014 Maryse 2014

Pendant l’été 1937, toujours à la recherche de nouvelles aventures, Maryse Bastié se tourne encore une fois vers la Russie. Accompagnée par Suzanne Tillier, à bord du Caudron Simoun immatriculé F-AQAY, elle effectue une tournée de propagande en URSS qui l’emmène jusqu’à Irkoutsk, en Sibérie, terminus de l’autorisation accordée. Les deux amies rentreront à Paris en faisant le tour de l’Europe de l’Est. Est-ce bien extravagant d’imaginer qu’en attendant une hypothétique autorisation de Staline pour traverser l’ensemble du territoire soviétique, Maryse Bastié cherchait à repérer le meilleur trajet pour tenter le voyage Paris-Tokyo par la route la plus directe?

2014 Maryse Hilsz

Maryse Hilsz (MA31953)

Encore quelques exploits au féminin. Une autre Maryse, Maryse Hilsz, décolle d’Istres le 19 décembre1937 avec l’ambition de battre le record de distance de 3.939 km détenu par Amelia Earhardt. Elle est à bord du Simoun immatriculé F-AQDY. C’est un modèle C.635, mais afin de réaliser des économies sur la consommation d’essence, on a échangé le moteur 6Q de 220 CV contre le moteur moins puissant (180 CV) du C.620. (Quand je vous disais que ces pilotes étaient un peu fous!) Elle emporte quand même quelques 1.140 litres dans ses réservoirs. Obligée de se poser à Alexandrie pour des raisons techniques, elle abandonne son projet et se dirige vers Saigon; les 10.500 km sont parcourus en 92h31. Elle bat ainsi d’environ 6 heures le record qu’André Japy détenait à bord d’un Caudron Aiglon. A son retour Maryse Hilsz est victime d’un incident mécanique aux confins des déserts irano – irakiens. Elle fait un atterrissage forcé à Djask, prés de Bassora, où elle ne sera secourue qu’après 48 heures d’attente.

 

 

2014 Maryse Hilsz et son Caudron C.635

Maryse Hilsz et son Caudron C.635 (voir le dièdre) avec un moteur de 180 CV (MA18648)

Toujours aux commandes du même Caudron Simoun, du 29 au 30 décembre 1938, Maryse Hilsz bat le record de distance en ligne droite pour les avions de classe C en reliant d’un seul coup d’aile Istres à Port-Etienne, en Mauritanie, soit un trajet de 3.230 kilomètres.
La liste des aventures auxquelles a participé le Caudron Simoun et que je viens d’évoquer n’est, bien sûr, pas exhaustive, mais je ne voudrais pas passer sous silence celle qui restera, sans doute, la plus célèbre d’entre elles, grâce à la plume de ce grand écrivain que fut Saint Exupéry. J’en demande à l’avance pardon à chacun mais je vais avoir l’outrecuidance de résumer un chapitre d’un de ses plus beaux livres: Terre des Hommes. C’est le chapitre sept, qu’il a intitulé« Au centre du désert».

 

 

 

2014 Saint-Exupéry et son mécanicien Prévost

Saint-Exupéry et son mécanicien Prévost (MA26765, avec l’aimable autorisation de la Succession Saint-Exupéry-d’Agay)

En 1935, Saint Ex est attaché au service de propagande d’Air France. A ce titre, il dispose d’un Caudron Simoun C.630 dont l’immatriculation F-ANRY est un peu l’anagramme de son nom: ANtoine de Saint ExupéRY. Avec son mécanicien André Prévost, ils décident de tenter le raid Paris-Saigon. Ils décollent du Bourget le 29 décembre 1935 à 7h02 et après avoir fait successivement escale à Marseille et Tunis ils se posent à Benghazi à 23h. (début du roman). Après en avoir terminé avec les formalités administratives et effectué le complément indispensable des pleins d’essence, le décollage a lieu vingt minutes plus tard. Il reste 1.050 km de désert à parcourir avant d’atteindre la prochaine escale du Caire. Après 3h30 de vol à une altitude de 2.000 mètres, l’avion rentre dans une zone nuageuse où il rencontre de fortes turbulences. Il en sort quelques minutes plus tard pour constater qu’ils vont devoir affronter un autre cumulonimbus qui se trouve droit devant. Les calculs de navigation indiquent que le but n’est plus très loin et le pilote redoute de ne pas apercevoir la vallée du Nil s’il s’engage encore une fois dans les nuages. Il prend alors la décision de passer au-dessous. Il fait nuit et la région désertique qu’ils survolent n’offre pas le moindre point de repère visible. Le nuage a occulté la plus petite lueur en provenance des étoiles.

 

2014 F-ANRK C630 du raid Paris-Saigon

Le C630 F-ANRY du raid Paris-Saigon qui se posera dans le désert Libyen (MA6088, avec l’aimable autorisation de la Succession Saint-Exupéry-dAgay)

Saint Ex descend dans le noir le plus complet. 1.000 mètres … 500 mètres … l’avion descend toujours. L’altimètre indique 300 mètres lorsque le F-ANRY accroche le sol fait de cailloux et de sable, à la vitesse de 270 km/heure. L’appareil est détruit mais, premier miracle, l’équipage est indemne. L’auteur décrit alors les angoisses des hommes perdus dans le désert, loin des routes commerciales, sans pouvoir espérer le moindre secours avant plusieurs jours … pour autant qu’on les retrouve. La situation est d’autant plus grave que les réserves d’eau se sont répandues sur le sable lors de l’impact. Commencent alors plusieurs jours d’errance où l’équipage, tour à tour, s’éloigne de l’avion et y revient. L’écrivain nous fait part de ses réflexions lorsque, parti à la recherche de quelque chose qui puisse étancher leur soif qui devient de plus en plus intense, il découvre que les fennecs, ces petits renards du désert à grandes oreilles, gèrent avec parcimonie et intelligence les colonies de petits escargots dont ils font leur nourriture. C’est sans doute à cause de ce paragraphe qu’est née la légende de Saint Exupéry élaborant le projet de son prochain roman du Petit Prince en attendant les secours qui tardent tant à venir. (Ce n’est peut-être qu’une légende mais tellement belle, qu’on a bien le droit de la considérer comme vraie). Finalement, deuxième miracle, le quatrième jour deux bédouins retrouvent l’équipage exténué mais finalement sain et sauf.

La dernière rencontre de l’équipage Saint Exupéry – Prévost avec le Caudron Simoun commence le 15 février 1938 par le décollage de New York du C.635 immatriculé F-NAXK. Ils tentent d’effectuer un raid en direction de Punta Aréna, en Terre de Feu. Hélas, encore une fois, l’aventure se terminera mal. Le lendemain 16 février, l’avion trop lourdement chargé en essence s’écrase au décollage de Guatemala City. Le Simoun est détruit et cette fois l’équipage est sérieusement blessé. Mais, comme à quelque chose malheur est bon, Saint Exupéry profitera de sa convalescence pour écrire le roman Terre des Hommes dont nous venons de parler.

 

Les Simoun militaires.

2014 C635 Simoun de l'Armée de l'Air en 1939

Un C635 Simoun de l’Armée de l’Air en 1939 (MAE)

Les Simoun commandés par les différentes administrations de l’Etat auront des carrières beaucoup plus discrètes que celles que nous venons d’évoquer. Ils ne se distinguent que par leur nombre, de beaucoup le plus élevé. Je ne citerai pas de chiffres précis, car je n’ai pas réussi à en trouver qui concordent les uns avec les autres ; nous nous contenterons donc d’ordres de grandeurs, puisque cet article n’a pas la prétention d’être un document comptable. Si l’ensemble des Simoun civils n’atteint pas la centaine, les militaires en commanderont environ 630 dont 500 seront livrés au moment de la guerre. En effet l’intérêt des militaires s’est manifesté pour cette petite machine dés les débuts d’Air Bleu, vers 1936, par une première commande d’une cinquantaine d’appareils. Six autres marchés seront passés jusqu’en 1939. Il s’agit, bien sûr du modèle C.635, le plus performant, avec le moteur 6Q-09 de 220 CV. Bien sûr encore, les militaires réclameront toute une série de modifications qui vont de l’hélice à la roulette de queue, en passant par l’aménagement de la cabine et la possibilité d’installer une double commande. Le principal effet de ces transformations est que le poids augmente de 70 kg ; le train d’atterrissage doit être renforcé au niveau des amortisseurs et, de quadriplace, l’avion devient triplace. Ces appareils seront appelés C.635M. Les livraisons qui ont, chaque fois, pris un peu plus de retard, ne commencent qu’à la fin du printemps 1937 et se poursuivront jusqu’à la guerre.

2014 Simoun, avion de liaison

Le Simoun, avion de liaison du Commandant de l’Aéronautique Navale à Brest (MA17352)

Certaines administrations recevront des Simoun; c’est ainsi que le Service de l’Aéronautique Civile à Madagascar prend livraison, en 1937, de trois avions. L’Aéronautique Navale achète une cinquantaine d’exemplaires; mais c’est l’Armée de l’Air qui se taille la part du lion. Les Simoun sont utilisés comme avions de liaison auprès des unités opérationnelles ou dans les Sections d’Avions Légers (SAL). Celle qui est située sur la base aérienne de Dugny reçoit quarante appareils. La Division d’avions de liaison de l’Administration centrale opère depuis le terrain d’Orly. Des Simoun seront équipés en avions sanitaires. Ils sont affectés dans les Sections d’Avions Sanitaires (SAS). Mais, surtout, l’armée de l’Air utilise ses Simoun comme avions écoles dans les centres de Royan, Orly, Istres, Melun, etc. ainsi que dans les écoles d’Afrique du Nord. Etait-il bien adapté à ce nouveau rôle? On peut émettre quelques doutes si on se réfère au nombre élevé d’accidents enregistrés dans ces unités.

Si on la compare aux exploits dont j’ai parlé aux chapitres précédents, l’activité de pure routine des Simoun militaires peut apparaître bien terne. Pourtant, ils vont avoir eux aussi leurs heures de gloire, car ce sont eux qui vont servir à ceux qui veulent s’évader de la France occupée pendant les jours sombres de l’été 1940. Comme on ne peut les citer tous n’en citons qu’un; faisons cette exception pour le Sergent Chef Dreyfus qui cherche à s’enfuir vers le Maroc le 26 ou 27 juin (on n’est pas très bien fixé sur la date exacte)1940 avec le Simoun C.635M qui porte le numéro de série 428/8519 et dont le code militaire est T-585. Après avoir décollé de l’aérodrome de Pau, il est obligé de se poser dans le nord du Portugal. Les autorités portugaises saisiront l’appareil et feront interner le pilote. C’est cet avion même qui est présenté aujourd’hui, dans le hall E de notre Musée. Pendant tout l’été 1940 les évasions vont se multiplier; d’abord de France vers l’Angleterre, mais aussi de France vers l’Afrique du Nord. Certain continueront leur périple vers Gibraltar ou l’Angleterre. D’autres enfin partirons directement des terrains d’Afrique du Nord pour rejoindre Gibraltar. La R.A.F hérite ainsi de quelques Simoun dont elle fera bon usage.

Conclusion

Modeste petit avion à la silhouette bien insignifiante, tu n’avais pas l’aura et le prestige de ces appareils de légende que sont le Laté 300 Croix du Sud ou le Couzinet 70 Arc en Ciel, mais les services que tu as rendu pendant toute ta vie d’avion te placent parmi les plus grands.

Et vous, quand vous reviendrez au Musée de l’Air et de l’Espace, ne manquez pas la visite de l’exposition sur Saint Exupéry, vous découvrirez le Caudron Simoun; c’est un avion qui en vaut la peine.

Jean-Paul Reynaud (AAMA)

Article extrait du Pégase n°134 de septembre 2009.

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